Petit manuel à l’usage de ceux qui vont attraper la grippe

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Gérard Chaouat et Patrick Silberstein publient le 15 octobre prochain un Petit manuel à l’usage de ceux qui vont attraper la grippe (et des autres), aux éditions Syllepse (120 p., 7 euros). Nous en publions ci-dessous le préambule.

PRODROMES

« Un mal qui répand la terreur,

Mal que le Ciel en sa fureur

Inventa pour punir les crimes de la Terre.

La Peste (puisqu’il faut l’appeler par son nom)

Capable d’enrichir en un jour l’Achéron,

Faisait aux animaux la guerre.

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés. »

Jean de La Fontaine, Les animaux malades de la peste

Grippe porcine ? Grippe mexicaine ? Grippe A ? H1N1 ? Depuis plusieurs mois, les variations sur le thème de la grippe nous sont devenues familières. Nous sommes assaillis par cette maladie épidémique que nous pensions « saisonnière » et « banale » et que nous découvrons potentiellement catastrophique. Elle est désormais omniprésente dans nos journaux, sur les ondes et sur nos écrans, notamment par son traitement politique et médiatique.

Parce qu’il y a des questions qui sont aujourd’hui sans réponses, nous ne pouvons nous satisfaire de la communication gouvernementale comme source d’information. Celle-ci ne permet pas de se forger une opinion et de prendre en charge collectivement et en toute connaissance de cause les mesures de défense et de protection. Nous avons donc voulu avec cet opuscule écrit « à chaud », alors que nous nous préparons à la bataille, fournir des éléments de compréhension des « grandes manœuvres » – celles du virus et de la pandémie, celles du gouvernement et des firmes pharmaceutiques – qui se déroulent sous nos yeux depuis le printemps 2009.

Disons-le tout net, pour écarter toute ambiguïté : il faut prendre au sérieux la menace pandémique et les dangers que nous fait courir H1N1. Il va sans doute frapper à une échelle insoupçonnée la population de la planète. Il tue déjà et pourrait tuer massivement.

Il va évidemment mettre au grand jour les failles béantes de notre système de santé. C’est le gouvernement lui-même qui, dans son Plan national de prévention et de lutte « Pandémie grippale », évoque une possible « désorganisation du système de santé en raison de la saturation rapide des services de soins ».

La pandémie aura des conséquences, économiques bien entendu, mais aussi sociales et sociétales. Nous savons d’expérience que les situations inédites et les « crises », de quelque nature qu’elles soient, sont l’occasion pour les pouvoirs dominants de changer la donne et d’avancer un peu plus leur vision et leur organisation du monde.

Il va de soi que face à une possible crise sanitaire d’ampleur il faut prendre des dispositions de crise pour assurer le bon fonctionnement des services de santé et assurer la protection collective et individuelle. Néanmoins, la circulaire de la Direction générale du travail du 3 juillet 2009 à destination des employeurs laisse entrevoir clairement la manière dont le gouvernement entend agir au cours de cette crise. Avec ce document, on comprend que pandémie aidant, il va continuer à ouvrir des brèches nouvelles dans les droits acquis en permettant des dérogations au droit du travail : assouplissement du temps de travail, modifications ou aménagement de l’exécution de la durée du travail, modification des contrats de travail, télétravail, etc.

Il nous paraît évident que la nouvelle pandémie n’est pas une « grippette » comme l’a déclaré Bernard Debré, chef du service d’urologie de l’hôpital Cochin à Paris… D’abord, parce qu’à l’échelle mondiale, et non en regardant le monde par le petit bout d’une lorgnette dont le champ de vision ne dépasse pas les beaux quartiers et l’hôpital Cochin, quand bien même elle ne tuerait – « bénignité actuelle » – qu’un pour mille de la population touchée, si elle doit atteindre deux à quatre milliards d’individus, le nombre de morts serait déjà impressionnant… Ensuite, compte tenu de ce qui s’est passé et ce qui se passe sous nos yeux en Grande-Bretagne, à la Réunion, en Nouvelle-Calédonie, en Amérique latine, en Australie et aux États-Unis, il serait tout à fait irresponsable de prendre H1N1 à la légère.

Si la maladie est actuellement « chez nous » bénigne, rien ne dit qu’elle le restera. Il est donc tout à fait indispensable que chacun comprenne les divers scénarios possibles, après une première phase pandémique, le virus pouvant toujours muter ou même se recombiner ultérieurement. Scénarios évolutifs, à tiroir : « pandémie douce », « aggravation », catastrophe par mutation/recombinaison, tout est ouvert à l’heure actuelle.

La Banque mondiale évalue à 3 000 milliards de dollars l’impact d’une pandémie qui aurait l’ampleur de celle de 1919 et pense que la baisse du produit intérieur brut mondial pourrait être de 0,7 % à 4,8 % selon la gravité. Le Monde du 24 juillet 2009 avance l’hypothèse de 20 millions de personnes touchées en France d’ici la fin de l’année. La modélisation produite par l’Institut de veille sanitaire propose une fourchette allant de 9 à 21 millions de malades avec un cortège de 91 000 à 212 000 décès. Le Medef et la Direction générale du travail évoquent un taux d’absentéisme dans les entreprises qui se situerait à 25 % pendant huit à douze semaines et à 40 % pendant les deux semaines du pic épidémique. Anecdote, mais pleine de sens en ces temps de crise financière et économique, les banques et les traders ont d’ores et déjà pris leurs dispositions pour assurer la continuité de leurs opérations. Cela étant dit, le branle-bas de combat qui a agité les services de l’État, les entreprises (il a été demandé aux chefs d’entreprises, comme c’est le cas dans les administrations, d’élaborer des « plans de continuité de l’activité ») et les organismes internationaux est la traduction de la menace réelle que fait peser H1N1 sur la société tout entière.

Si les réponses – ou les non-réponses – aux problèmes soulevés trahissent autant des points de vue de classe que des points de vue d’« experts », il serait pour le moins irresponsable que la « société civile » s’en remette « aveuglément » aux mesures que préconise le gouvernement.

Nous le verrons tout au long de cet opuscule, les choix qui ont été faits n’ont pas uniquement été guidés par l’intérêt général et la santé publique. Loin s’en faut ! Et si H1N1 déferle, les mesures préconisées, comme celles de la circulaire ministérielle du 3 juillet 2009 qui donne quelques coups de canif supplémentaires aux droits des salariés, ne seront pas sans lendemain ni conséquences sur le moyen et long terme. N’ayons aucun doute à ce sujet !

L’épidémie ne sera pas sans conséquence non plus pour le fonctionnement d’un service de santé publique sous-financé et volontairement asphyxié.

Il en va de même pour l’assurance-maladie, soumise depuis longtemps déjà au feu roulant des contre-réformes néolibérales. Nul doute qu’une fois le gros de l’épidémie passé, il faudra encore, « au nom de la solidarité », serrer la vis aux assurés sociaux en diminuant encore un peu les prestations pour « compenser » les pertes dues à l’excès de dépense liée à la grippe A/H1N1.

Quant à l’Éducation nationale, autre cible récurrente des attaques gouvernementales, le virus pourrait bien la frapper une première fois avant qu’un deuxième coup ne vienne parachever le travail. Il suffit de voir les mesures préconisées par le ministre, Luc Chatel, pour mesurer à la fois l’ineptie en matière de santé publique et la gravité en matières de démantèlement du service public d’éducation. La grippe aura pour conséquence, nous dit l’ancien recteur Alain Bouvier dans Le Monde (12 août 2009), la mise en place d’un système « totalement individualisé » et « non régulé », qui accentuera encore les inégalités entre élèves.

Parce que nous ne sommes pas égaux devant la maladie, la pandémie et son traitement contribueront à creuser encore les inégalités. Bien évidemment, le virus frappe aveuglément, cependant il affecte déjà différemment le Nord et le Sud, et, sous nos latitudes, les quartiers nantis et les quartiers déshérités. Les contre-réformes néolibérales successives et la médecine à deux vitesses qui s’est installée insidieusement ont exacerbé les disparités en matière d’équipement de santé (médecine de ville de premier recours, structures hospitalières) et d’accès aux soins. Les urgences hospitalières sont d’ores et déjà en surchauffe et seront alors au bord de l’implosion, comme elles le sont déjà à La Réunion et en Nouvelle-Calédonie où le recours aux astreintes des personnels est quotidien. Scénario catastrophe ? Rappelons-nous simplement ce qu’a révélé la canicule de 2003. Or, on ne peut pas dire que la situation se soit depuis améliorée…

Alors que nous nous apprêtons à faire face à la première pandémie du 21e siècle, nous ne pouvons pas manquer de nous interroger précisément sur l’origine de l’émergence de ce H1N1 autant que sur les conditions de sa rapide dissémination planétaire à partir du premier cas officiellement enregistré comme tel à La Gloria au Mexique, après des prélèvements faits à la fin mars 2009 devant des pneumonies virales. Quant à la responsabilité majeure d’une certaine forme de l’industrie agroalimentaire dans la genèse de la pandémie, elle mérite que nous nous y arrêtions pour exiger et faire que soient entendues les mises en gardes des experts scientifiques et des populations locales sur les usines à viande et à virus. La catastrophe était annoncée, mais pas inévitable.

Il est aussi nécessaire que soit posée la question de ce que l’on sait vraiment sur ce qui est fait pour la pandémie à venir dans notre pays, et que nous nous interrogions tant sur les traitements que sur la prévention. Tout le monde attend fébrilement (sic) l’arrivée des vaccins anti-H1N1. Mais plusieurs problèmes se posent déjà. Quand seront-ils vraiment disponibles ? Seront-ils efficaces au moment où ils seront administrés ? Quels seront les risques vaccinaux ? Qui faudra-t-il vacciner en priorité ? Pourquoi, si la vaccination constitue la barrière majeure – tant individuelle que collective – contre le virus, ne sera-t-elle pas systématique, voire obligatoire ? Quels seront leurs coûts de fabrication et leur prix de vente ? Pourquoi n’y aura-t-il pas de prix unique du vaccin ? Seront-ils remboursés à 100 % ? Quelle est la justification sociale des dividendes – parfois tout simplement énormes – versés aux actionnaires des firmes privées qui produisent vaccins et antiviraux et qui répondent à une commande sociale ? D’autres questions se posent encore, concernant les traitements antiviraux, l’utilisation des masques, les mesures de quarantaine et de confinement…

On le voit, cette pandémie pose bien des questions auxquelles nous allons tenter d’apporter, sinon des réponses définitives – certaines par nature ne peuvent pas l’être ou seront datées –, du moins des éclairages.

Nous ne sommes ni l’un ni l’autre virologistes et bien que nous soyons l’un et l’autre médecins, nous ne prétendons pas à l’autorité scientifique. Non spécialistes certes, mais concernés à plus d’un titre. D’abord parce que médecins, nous allons devoir faire face, chacun à sa façon, à la maladie. Ensuite, parce que citoyens, nous nous posons les mêmes questions que tout un chacun, tant le traitement de cette épidémie apparaît contradictoire, confus, et soulevant – comme tant d’autres sujets médicaux ou scientifiques – des questions politiques qui ne peuvent être abandonnées aux technocrates qui « savent » et qui donc décident, souvent en toute opacité et sans concertation, au nom de la collectivité.

Politique, la santé publique ? Qui pourrait dire le contraire ? On le voit bien quand les ministres qui s’apprêtent à faire face à la pandémie grippale sont ceux-là mêmes qui, depuis des lustres, s’emploient à défaire l’accès aux soins égal pour tous en étranglant à la fois le service public de la santé et la protection sociale, pour mieux les démanteler et les privatiser.

Médecins, nous serons évidemment aux avant-postes quand l’épidémie touchera les quartiers populaires où nous vivons et exerçons. Engagés dans la vie de la cité, nous clamons qu’il faut que soient mises en place des politiques publiques de santé.

De telles politiques ne peuvent que s’attaquer aux « chaînes de production » mondiale des maladies émergentes qui surgissent à intervalles réguliers (maladie de la « vache folle », grippe aviaire, H1N1, etc.), et qui sont intimement liées à un certain type d’activités humaines échappant très largement à tout contrôle.

Une chaîne aux multiples maillons – dont un grand nombre est accessible aux choix politiques – et qui court du premier cas répertorié de grippe A/H1N1 dans une petite ville de l’État de Vera Cruz au Mexique à la pandémie planétaire aussi attendue qu’inéluctable, et qui peut très bien évoluer de « bénigne » à grave, voire gravissime. Un des premiers maillons – et non des moindres – est à exhumer dans le lisier des méga-élevages industriels aux mains de l’internationale irresponsable des multinationales de la viande. D’autres maillons doivent être soumis à la critique démocratique et à la formulation d’alternatives : les systèmes d’alerte, les mesures prophylactiques, les contrôles sanitaires, les moyens qui seront mis en œuvre en cas de déferlement épidémique, les choix stratégiques des firmes pharmaceutiques en matière de production de vaccins et de médicaments…

Les questions soulevées par une telle pandémie ne sont évidemment pas simples, il n’y a donc ni réponse univoque, ni remède miracle. C’est pourquoi, nous revendiquons l’information complète des populations pour que les mesures éventuellement drastiques, contraignantes et coûteuses qui pourraient être prises, à un moment ou à un autre, soient comprises, librement acceptées et mises en œuvre collectivement et démocratiquement.

Le Plan national de prévention et de lutte élaboré par le gouvernement évoque la nécessité du « maintien d’un lien de confiance fort entre les autorités gouvernementales et la population ». Cette préoccupation traduirait-elle une appréhension des autorités sur la « confiance » qui lui est accordée ? Ou encore est-ce la manifestation de sa volonté de profiter de la crise sanitaire à venir pour rétablir une « confiance » pour le moins écornée, tout en préparant ses mauvais coups au nom de la « solidarité » ? Sans doute les deux.

Nous n’accorderons pas la moindre confiance à ce pouvoir qui porte la destruction des protections sociales et de la solidarité comme la nuée porte l’orage, et dont le masque de protection dissimule (mal) le mufle des prédateurs qui mettent la planète en coupe réglée et en danger. Nous ne devons lui accorder aucun blanc-seing.

Combattre la grippe, pour nous, c’est bien entendu utiliser tous les moyens que la science et la technique devraient mettre à la disposition de la population. C’est aussi s’efforcer d’éclairer les zones d’ombre – car nous sommes encore souvent en terra incognita – qui obscurcissent encore notre compréhension des mécanismes de la pandémie et des mesures à prendre pour la combattre et la contenir, tant du point de vue individuel que collectif.

La communication distillée au jour le jour au gré des besoins politiques du pouvoir en place et des firmes pharmaceutiques tient lieu d’information. Elle suscite plus l’inquiétude, les faux espoirs et la suspicion que la conscience et la mobilisation. Pourtant, si crise sanitaire il doit y avoir – et, répétons-le, c’est une hypothèse forte –, pour que les mesures préconisées et mises en place atteignent leur efficacité maximum – et non « totale », car il n’est pas de sauveur suprême, ni vaccin ni Tamiflu –, elles doivent être comprises, acceptées et relayée au plus près des « cibles ». Lesquels « cibles » doivent être les acteurs de la santé publique !

Avec ce petit manuel à l’usage de ceux et celles qui vont attraper la grippe – et des autres aussi, bien entendu –, nous avons voulu donner quelques outils pour tordre le cou, sinon au virus, du moins aux idées reçues et à la communication dominante.

Gérard Chaouat et Patrick Silberstein

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