La dépêche du midi – Publié le 30/09/2013 à 03:52, Mis à jour le 30/09/2013 à 10:17 | 26
interview
«Le harcèlement moral est un mode de management»
Médecin aux urgences de Purpan, aujourd’hui en libéral à Cugnaux, Elisabeth Dès publie un livre sur le harcèlement moral. Grâce à son expérience et au témoignage de veuves de cadres qui se sont suicidés.
Urgentiste durant seize ans à l’hôpital Purpan, aujourd’hui pneumologue-allergologue en libéral à Cugnaux, Elisabeth Dès vient d’être éditée aux éditions «Les points sur les i» pour son mémoire «Le harcèlement au travail, mémoire d’un combat». Un recueil dans lequel le médecin dénonce les violences subies par les salariés dans le secteur de la santé et plus largement dans tous les milieux professionnels.
Que raconterez-vous dans ce mémoire ?
J’y décris le harcèlement moral et la dérive mafieuse dont j’ai été victime et témoin entre 1996 et 2000 alors que j’exerçais au service des urgences de Purpan, en parallèle de mon activité libérale en cabinet. La première tentative de déstabilisation psychologique a eu lieu fin 1996, par une collègue, alors que ma mère vivait ses derniers instants et les choses se sont dégradées fin 1998 par de nouvelles attaques personnelles sur ma vie privée et ma soi-disant «dépression». En janvier 1999, alors que j’étais en convalescence chez moi, après une virose, j’ai reçu la visite du futur chef de service des urgences et de la surveillante qui m’ont conseillé de prendre un congé maladie de trois mois, de suivre une psychothérapie de soutien et m’ont demandé une partie de mes vacations. J’ai été finalement évincée du service des urgences en novembre 2000 après quatre années de pression.
Pourquoi ce mémoire, treize ans après avoir quitté le service des urgences ?
En 2002, j’ai voulu saisir la justice en déposant une plainte pour harcèlement moral mais la procédure n’a jamais démarré. Lorsque j’ai pris conscience que les violences psychologiques et les pressions exercées sur les soignants en milieu hospitalier pouvaient se solder par des suicides comme cela a été le cas pour le docteur Martine Marchand, anesthésiste toulousaine, j’ai décidé d’aller au-delà de mon combat personnel. Pour moi, les suicides sur harcèlement moral sont des assassinats. J’ai découvert que le harcèlement moral était un mode de management, couramment pratiqué dans le milieu médical. Avec la privatisation du secteur de la santé, les soignants subissent des pressions énormes et des conditions de travail parfois proches de la torture mais ils n’osent pas parler. C’est l’omerta. Pourtant même l’INVS (Institut nationale de veille sanitaire) le dit, le secteur de la santé et de l’action sociale présente le taux de mortalité par suicide le plus élevé !
C’est pourquoi vous semblez assez isolée dans votre combat ?
Je le suis moins cette année avec le soutien de la CGT et d’Attac Santé. Je me suis aussi rapprochée de plusieurs veuves de salariés qui se sont suicidés, des cadres de la Poste, de Thalès ou du Technocentre Renault. Avec ce mémoire, je voudrais aider à une prise de conscience sur les réalités du monde du travail actuel et prévenir les «burn-out» qui ont conduit à ces gestes extrêmes.
Propos recueillis par Johanna Decorse
http://www.ladepeche.fr/article/2013/09/30/1720269-le-harcelement-moral-est-un-mode-de-management.html