De la chaîne de l’espoir à la chaîne de la Jet Set…
Source : le JDD
La France, futur hôpital du monde
En quête de nouvelles recettes, les CHU français s’intéressent à l’accueil de riches patients venus du Golfe, de Russie ou de Chine, ainsi qu’à la vente de conseil en organisation de soins.
C’est une petite révolution à but lucratif : comme le révèle le JDD, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) vient de signer un accord avec une société implantée dans une dizaine de pays du Moyen-Orient pour mieux organiser et développer l’accueil, payant, de patients étrangers en France. À terme, 1% des malades soignés à Paris pourraient venir du Golfe, de Chine ou de Russie. Le projet a longtemps dormi dans les tiroirs du navire amiral des CHU français. Aquilino Morelle, aujourd’hui conseiller politique de François Hollande, y avait même consacré un rapport secret, vite enterré. Le sujet restait tabou : quand les États-Unis, l’Allemagne ou le Royaume-Uni soignent des malades du monde entier, la France demeure à l’écart du « tourisme médical », un phénomène mondial en augmentation.
Mais alors que l’hôpital public s’est endetté pour financer ses investissements, l’heure est à la recherche de recettes nouvelles. « Il est anormal que la Sécurité sociale française sponsorise les soins de gens aisés issus de pays qui n’ont pas de problèmes financiers », argumente Stéphane Fériaut, directeur du développement de l’AP. L’AP-HP reçoit déjà chaque année quelque 7.500 patients étrangers. Parmi eux, des touristes pris en charge par les urgences de la capitale, des sans-papiers bénéficiaires de l’Aide médicale de l’État (AME), des proches de ressortissants français qui se cotisent pour financer une opération délicate… Mais aussi des malades payant de leur poche ou couverts par une assurance, souvent originaires du Maghreb et du Proche-Orient, attirés par la médecine de pointe pratiquée dans des hôpitaux comme la Pitié-Salpêtrière ou Necker.
Plusieurs millions d’euros supplémentaires espérés
Jusqu’à présent, ce dernier contingent (environ 2.300 personnes chaque année) avait tendance à disparaître des écrans radar de la gestion hospitalière. « Ils viennent par leurs propres moyens. Ils sont adressés par un médecin à des confrères français mais le système n’était pas organisé », souligne Zohra Bensalem-Djenadi, qui pilote le dossier à l’AP-HP. En gros, la consultation ou l’opération étaient facturées au tarif de la Sécurité sociale. Un prix largement inférieur au coût moyen mondial.
Comment, dès lors, mieux exploiter l’avantage compétitif de taille que représente une médecine de grande qualité jusque-là bradée à des tarifs low cost? En facturant les soins à un prix plus élevé et en augmentant le nombre de malades concernés. Grâce à l’accord qui vient d’être signé, et lorsque des décrets permettant son application seront parus, l’AP-HP pourrait ainsi dégager plusieurs millions d’euros de marge et espérer résorber une partie de son déficit. « Cela permettra aussi de sécuriser le paiement. Certaines créances n’étaient jamais recouvrées », détaille Stéphane Feriaut.
Ne pas léser les patients français
Concrètement, les patients du Moyen-Orient seront désormais chaperonnés par la société Globemed. Envoi des dossiers, établissement des visas, transfert des malades, paiement… Cette filiale d’Axa, basée au Liban mais présente dans toute la région, servira d’intermédiaire entre les hôpitaux parisiens et les assurances privées ou publiques des États concernés : « Nos systèmes de santé ne sont pas encore optimaux. Alors, pour une greffe de moelle osseuse ou une opération du cœur complexe, les gens vont se faire soigner en Allemagne ou aux États-Unis. On est ravis de pouvoir désormais proposer les hôpitaux parisiens, très efficaces, à nos clients. Pour nous, les tarifs français, régulés par l’État, sont intéressants », se félicite le docteur Elia Abdel Massih, directeur des services santé de Globemed.
Paris, hôpital du monde? « On n’a pas vocation à devenir un hôpital privé. La proportion de patients étrangers payants ne devra jamais dépasser 1% du total des malades », met en garde Stéphane Feriaut. Volontairement limitée dans un premier temps, la coopération avec le Moyen-Orient pourrait être élargie à l’Asie, à la Russie et aux anciennes républiques soviétiques. « Les patients français ne seront pas lésés. Ils seront prioritaires et surtout ne se rendront compte de rien. On se contente de réformer notre fonctionnement. On ne fera pas des urgences avec les patients étrangers mais seulement des interventions ou des soins programmés à l’avance », précise Zohra Bensalem-Djenadi, la coordinatrice du projet à l’AP-HP. Président du conseil de surveillance de l’AP-HP et adjoint au maire de Paris chargé de la Santé, Jean-Marie Le Guen martèle, de son côté, qu’ »en médecine, plus on travaille, plus on est fort. Il faut sortir d’une vision malthusienne de la santé, cesser de répéter que cela coûte cher. Notre système de santé est un atout dans la mondialisation ». Un joker économique mais surtout, aux yeux du député socialiste, « un outil d’influence » utile au « rayonnement et à l’attractivité de la France ».
Marseille veut devenir « le CHU de la Méditerranée »
Non contents de devenir une plaque tournante des « voyages pour traitement », terme moins péjoratif que celui de « tourisme médical », les hôpitaux français défrichent aussi la piste de la vente de conseil médical et de conseil en organisation des soins, un marché lucratif trusté par les Allemands. L’AP-HP, qui vient de signer un contrat avec la municipalité de Pékin, comme le révélait cette semaine le site Huffingtonpost.fr, se positionne pour participer au chantier du futur hôpital de Hanoi (Vietnam) et pour venir en aide aux Brésiliens sur une partie du volet sanitaire des JO de 2016.
Ces temps de crise stimulent les patrons d’hôpitaux. À Marseille, le directeur de l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM) a annoncé, le 12 juillet, que son établissement s’apprêtait à réorganiser l’accueil de ses 1.000 patients étrangers payants annuels. « On veut devenir le CHU de la Méditerranée, vendre l’ultraqualité de notre médecine dans le domaine de la chirurgie de la main, de la radiochirurgie, de l’ophtalmologie », plaide Bastien Ripert, chef de cabinet du directeur de l’AP-HM. À Lyon, un projet serait aussi dans les cartons.