Clarisse F. | Infirmière
Je suis infirmière dans un hôpital public depuis sept ans. Pour arrondir mes fins de mois, je me suis inscrite dans une agence d’intérim spécialisée dans le domaine de la santé. Les missions que l’on m’a proposées concernaient les cliniques.
Travailler en dehors de l’hôpital est interdit, mais beaucoup d’infirmiers le font, puisque nos heures supplémentaires ne sont pas payées.
J’ai été révoltée par ce que j’ai vu… Catapultée dans un service de médecine que je ne connaissais pas, dans un établissement que je ne connaissais pas, j’ai dû prendre en charge 25 patients.
Je me suis sentie totalement perdue
J’avais choisi un poste de nuit afin de ne croiser personne, étant donné que je n’avais pas le droit de travailler dans cette clinique. Une aide-soignante est venue me donner un coup de main une ou deux fois dans la nuit puisqu’elle avait en charge deux services, soit 50 patients.
L’infirmière d’après-midi qui m’a fait les transmissions m’a donné quelques indications sur ce qu’on attendait de moi pour ce poste de nuit. Quand elle est partie, je me suis sentie totalement perdue…
Je travaille à l’hôpital dans un service de réanimation, je sais prendre en charge les urgences, mais je ne sais pas travailler dans un service « conventionnel ». Pourtant, il fallait que je sois à la hauteur, j’avais 25 patients qui avaient besoin de moi, de mes compétences. J’ai fait de mon mieux mais, toute la nuit, j’avais une boule au ventre…
Les dossiers des patients ne sont pas comme ceux de mon service, les protocoles non plus. J’avais peur de louper une information, de commettre une erreur… Je savais quel médecin appeler en cas de problème, mais je savais aussi que je ne devais pas appeler pour n’importe quoi. Le médecin était chez lui, mais je savais aussi que les médecins des cliniques détestent être dérangés, que si j’appelais, je me ferais incendier.
Je devais préparer les traitements de la journée pour chaque patient en suivant son dossier, donner les traitements des patients pour la nuit, et répondre aux sonnettes. J’étais très souvent interrompue lors de la préparation des médicaments.
Finalement, la nuit est passée sans problème. J’ai fait mes transmissions aux infirmières du matin. Elles n’aiment pas les intérimaires, il y a toujours des oublis, elles doivent rattraper leurs erreurs.
Ensuite, on m’a proposé des nuits dans une autre clinique. Un service de soins intensifs de cardiologie. Je n’étais plus seule, je travaillais avec deux autres infirmières. Elles étaient désagréables, elles n’aiment pas non plus les intérimaires. Au sein d’un même hôpital, chaque service a ses habitudes, ses spécificités, sa façon de travailler.
Elles ne comprenaient pas que les intérimaires posent des questions « bêtes », et avancent moins vite. Effectivement, je posais des questions pour des choses qui leur paraissaient évidentes. Les médicaments utilisés ne sont pas les mêmes, les tubes pour les prises de sang sont différents, les dossiers sont informatisés, etc.
Un examen à 500 euros… pas bête
Dans ce service spécialisé, il y a eu plusieurs admissions durant la nuit. Je n’ai pas compris pourquoi ces patients étaient là… Ils ont bénéficié de nombreux examens, examens revenus négatifs pour la plupart puisqu’ils étaient inutiles !
Par exemple, un patient est venu pour des douleurs thoraciques. On lui a fait un électrocardiogramme (ECG). Si celui-ci est normal, le patient doit rentrer chez lui. Pas en clinique ! Le lendemain, il a bénéficié d’une coronarographie exploratrice…
Pas d’anomalie, il est rentré chez lui ! Une coro rapporte 500 euros… pas bête, dommage de s’en priver. Si le médecin avait trouvé une anomalie, le patient aurait bénéficié d’une nouvelle coro cette fois-ci pour poser un stent – encore 500 euros, alors qu’il aurait pu lui poser le stent lors de la première coro !
Le trou de la Sécu vient de là aussi
J’ai pu constater ce type de procédure plusieurs fois. J’en ai parlé aux infirmières de la clinique qui sont d’accord avec moi. Les médecins admettent n’importe qui, ils font des examens invasifs inutiles mais lucratifs, les patients pensent qu’ils sont bien pris en charge puisqu’on leur fait plein d’examens. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que ces examens sont inutiles et qu’ils peuvent être dangereux, et source d’infection (introduction d’une sonde dans l’artère radiale ou fémorale).
Les patients sont des clients choisis en fonction de ce qu’ils peuvent rapporter à la clinique. C’est du business, pas une prise ne charge respectueuse du patient. Le trou de la Sécu vient de là aussi, et personne n’en parle, pourquoi ? Parce que les patrons des cliniques sont amis avec les gens au pouvoir ?
Un dernier exemple… Lorsqu’un patient ne va pas bien en clinique, les médecins font un maximums de gestes et d’examens chers (pose de cathéters et de sondes, scanners, coronarographies) et ensuite, lorsque le « client » ne leur rapporte plus rien, ils les transfèrent à l’hôpital.
C’est un témoignage tellement vrai et tellement courageux…félicitations!