Le fait
La polémique sur les 12 heures est sans fin. Mais l’inflation galopante de ces horaires, qui « sont en train de passer partout » à l’hôpital comme en Ehpad, inquiète au plus haut point les médecins du travail. Un retour en arrière étant illusoire, ceux-ci viennent de fournir quelques pistes à la DGOS pour tenter un compromis social.
L’analyse
Le rappel au droit par la DGOS « absolument pas respecté »
En janvier dernier, la DGOS a diffusé une instruction rappelant les dispositions réglementaires qui encadrent les plannings en 12 heures. Mais « tout ça n’est absolument pas respecté« , commente le Dr Hélène Beringuier. Il y est même acté « que les personnels ne peuvent travailler plus de trois jours de suite en 12 heures« . Or précisément, c’est ce troisième jour qui est facteur de pénibilité, ajoute la médecin du travail. Quant à l’idée d’un moratoire sur ce type de planning, réclamé par les organisations syndicales à l’instar de ce qui s’est opéré l’an dernier à l’Assistance publique-hôpitaux de Marseille (AP-HM), le temps que le groupe de travail national rendent ses recommandations, elle a été refusée par le ministère de la Santé.
Bannir les roulements jour-nuit et panacher les plannings
Au-delà des raisons affichées par les directeurs et hospitaliers pour justifier les 12 heures, comme de leurs atouts et méfaits sur la vie quotidienne, la santé, le travail et la qualité des soins, autant d’éléments maintes fois entendus et rappelés par l’Anmteph, cette dernière ne se berce d’aucune illusion : impossible d’espérer un retour en arrière et une suppression de ces plannings pourtant censés rester dérogatoires. « C’est trop en place« , note Hélène Beringuier. À défaut, les médecins du travail livrent donc des recommandations pour faire passer la pilule et offrir « un compromis » entre organisation du travail et vie privée. Il s’agirait ainsi d’interdire les 12 heures dans les services à activité régulière et intense (et non en pics type urgences), de même que dans ceux accueillant des patients déments ou présentant des effectifs réduits (et non normés type réanimation). L’Anmteph insiste aussi pour bannir les roulements jour-nuit. « À l’inverse des 10 heures, il y a très peu de volontaires pour des nuits de 12 heures. Ça paraît long et financièrement, l’agent y perd par rapport à des horaires en nuit exclusifs, abonde Hélène Beringuier. C’est pourquoi les directions ont d’ailleurs tendance à imposer ces roulements. » Un volontariat strict pour les horaires de nuit s’impose donc, y compris pour les nouveaux embauchés. Et puis, à l’aide de retours d’expérience, il importerait de prioriser des 12 heures décalées, mixant par exemple du 7-19 heures à du 8-20 heures « pour réduire un peu les problèmes de relève« . Lesquels aboutissent, il est vrai, systématiquement à des horaires effectifs en 12h15 voire 12h30.
Les épidémiologistes aux abonnés absents
Troubles musculo-squelettiques, problèmes veineux, troubles du sommeil… Ce constat est parfaitement étayé par les médecins du travail : « Même s’il n’existe pas d’étude scientifique sur le sujet, je pense qu’on ne se trompe pas« , confie le Dr Hélène Beringuier. Mais justement, un « suivi standardisé » des agents en 12 heures serait primordial, selon elle, pour enfin « disposer de remontées un peu collective« . « On est d’ailleurs un peu amer que les épidémiologistes ne s’en préoccupent pas« , glisse l’intéressée. Certes, il existe bien une enquête transversale de surveillance médicale des expositions aux risques professionnels (Sumer) réalisée par les médecins du travail et de prévention et coordonnée par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) et la Direction générale du travail (DGT). Mais celle-ci n’est effectivement pas spécifique au secteur hospitalier.
Interdire le 3e jour de travail consécutif et l’auto-remplacement
Cette mixité des horaires est primordiale pour l’Anmteph, qui s’interroge même sur l’opportunité de définir un seuil maximal par service — pourquoi pas 70% ? — de personnels en 12 heures. Si tous les agents travaillent à la demi-journée, que fera-t-on de ceux en situation de fragilité pour une grossesse, une maladie ou un handicap, acquiesce Hélène Beringuier. Or un « panachage » avec des plannings en 8 heures utilisés ponctuellement par ces agents peut venir assouplir le quotidien de leurs collègues en 12 heures. Sur le lieu de travail, il importe de disposer de pauses réelles et organisées, dans leur durée et leur programmation, de même pour les temps de formation et les réunions de service. Or, tout comme sur les plannings en 7h30, c’est loin d’être le cas en 12 heures bien que cela s’avère ici encore plus crucial, glisse la médecin. Le lieu de pause se doit aussi d’offrir un éclairage de qualité et une possibilité d’allonger ses jambes voire de courtes siestes. Selon l’Anmteph, l’hôpital devrait en outre fournir gratuitement des bas de contention pour apaiser les 12 heures passées en position debout. Interdiction doit être également faite de travailler plus de deux jours consécutifs, relate Hélène Beringuier : « Le troisième jour en 12 heures, c’est le plus pénible et ça emmène un premier jour de repos sans aucune activité car l’état de fatigue est trop fort« . Enfin, dernier point de vigilance : l’arrêt des auto-remplacements. « C’est du bidouillage entre agents pour se garantir des semaines de repos l’été et qui sont prêts à accepter n’importe quoi en jours de travail à la suite« , conclut l’intéressée.