Santé au travail : tu aimeras ton employeur comme toi-même !

Dans le privé comme dans le public, les salariés ne savent plus ce qu’ils font.

Dans un entretien publié dans la Lettre du Cadre du 15 juillet 2013, le sociologue Vincent de Gaulejac, auteur avec Antoine Mercier de Manifeste pour sortir du mal-être au travail développe la notion de contrat narcissique imposé aux salariés, dans le privé comme dans le public. Morceaux choisis.

« Au cœur de la crise, le privé comme le public imposent un contrat narcissique à leurs employés. Aimer son entreprise, y adhérer sans savoir pourquoi : telle est la réalité de milliers de salariés.

Les  salariés du secteur public ou privé ont intégré les exigences de l’organisation du travail comme si elles relevaient d’un fonctionnement logique. On est passé en quelques années d’un pouvoir d’imposition à un pouvoir d’adhésion. On a basculé dans un contrat narcissique. Ce n’est plus le corps qui est mobilisé pour faire quelque chose mais la psyché.

Au siècle dernier la souffrance était physique, le corps était marqué. Aujourd’hui, c’est la psyché qui est en souffrance. La perception de son propre rôle au sein du collectif professionnel devient de plus en plus complexe. Dans un tel contexte la « méritocratie » est elle aussi soumise à des facteurs très aléatoires.

Les DRH s’inspirent de la psychologie comportementale pour savoir si les cadres adhèrent réellement aux valeurs de l’entreprise. Aujourd’hui, la valeur travail est moins perceptible et objectivable et les salariés ne savent plus très bien ce qu’ils font. Ils sont impliqués dans des projets, des campagnes de sensibilisation, de réorganisation dont les objectifs finaux restent illisibles. La conséquence de cette incarnation subjective du travail est une perte absolue de confiance en soi.

L’objectif est de créer les conditions de réussite d’un contrat narcissique. Cette révolution managériale est née dans les multinationales à la fin des années 1970. Depuis, l’objet du pouvoir n’est plus le corps qu’il s’agissait de rendre utile, docile et productifs mais la psyché que l’on prétend rendre utile, docile et productive. Cette évolution change radicalement la fonction du management et celle du travail. Nous avons tous un rapport contradictoire au travail. Il s’agit à la fois d’un lieu de désir et de souffrance, d’un lieu d’émancipation et de contrainte, de réalisation et d’asservissement.

Même si les syndicats luttent pour faire reculer cette souffrance, c’est un lent processus. Les représentants du personnel conseillent encore de suivre des formations de gestion du stress alors que c’est le stress qu’il faut essayer de mieux contrôler en amont. La défense des salariés doit passer par la dénonciation de toutes les formes de violence. Il ne suffit pas pour cela de se décharger sur les médecins ou les psychologues du travail. Il faut peser sur les pouvoirs politiques pour que ce dernier s’engage à rééquilibrer les rapports sociaux au travail en assurant ainsi une plus grande protection des salariés. Un cadre juridique s’impose, capable de faire face à l’idéologie managériale qui s’est imposée ces dernières années. »

Gilles REYNAUD

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