Hors de l’entreprise, les acteurs de soin sont souvent des témoins au quotidien de la dégradation de la santé du salarié. Généralistes, cardiologues, psychiatres, psychologues cliniciens, pharmaciens ou infirmières de ville, vous vous sentez souvent démunis devant ces pathologies sociales.
A qui adresser ces patients ? Que faire pour les aider ? Quoi leur conseiller ? Vers qui les orienter ?
Nous proposons ici une démarche générale aux médecins généralistes, car ce sont des interlocuteurs privilégiés, mais tous les acteurs de soin peuvent la lire avec profit pour pouvoir jouer un rôle de repérage ou d’alerte.
Vous êtes médecin généraliste et vous vous trouvez dans l’une des situations suivantes :
Un patient consulte pour la troisième fois pour un symptôme banal (troubles du sommeil, douleurs gastriques, asthénie durable…) alors que son bilan organique est négatif ;
Un patient vient consulter pour son enfant : vous le trouvez fatigué, ou amaigri, ou ayant pris du poids. Il peut vous dire que “ le travail, c’est difficile en ce moment ” ;
Un patient vient vous consulter car il ne peut plus supporter “ l’ambiance ” au travail;
Dans chacun de ces cas, que le travail ait été évoqué ou non au cours de l’entretien clinique, vous devez vous interroger : ce patient est-il victime de souffrance au travail ?
Cette souffrance au travail, même si votre patient ne s’en plaint pas directement, peut produire des symptômes que vous devez rechercher et qui doivent vous alerter.
Les signaux d’alerte
Parmi les premiers signaux d’alerte, on trouve des signes non-spécifiques comme l’insomnie, les douleurs rachidiennes, la prise régulière d’alcool, de cannabis ou de psychotropes.
Apparaissent ensuite d’autres effets sur la santé, également non-spécifiques, que l’on peut répartir en quatre familles :
– Physiques : asthénie, douleurs abdominales, musculaires, articulaires, troubles du sommeil, de l’appétit, etc.
– Emotionnels : irritabilité accrue, angoisse, anxiété, excitation, tristesse, sensation de mal-être mal définie, etc.
– Intellectuels : troubles de la concentration, de la mémoire, difficultés à prendre des initiatives ou des décisions, etc.
– Comportementaux : modification des conduites alimentaires, comportements violents et agressifs, repli sur soi, difficulté à coopérer, etc.
Si la situation pathogène perdure, on peut voir émerger, suivant l’état et les antécédents du patient, des pathologies telles que des troubles musculo-squelettiques (TMS) , un “ burn-out ”, un syndrome anxio-dépressif, des maladies cardio-vasculaires. Le stade ultime peut être un accident vasculaire cérébral, un infarctus du myocarde ou encore un suicide.
L’impossibilité de répondre à son supérieur (risque de faute disciplinaire entraînant le licenciement) ou de quitter la situation toxique (la démission entraîne la perte’ des droits sociaux) constitue une situation d’impasse convoquant à plus ou moins court terme un tableau d’effraction psychique appelé, suivant les écoles, névrose traumatique ou syndrome de stress post-traumatique .
La conduite à tenir
Vous vous posez maintenant la question : y a-t-il un lien avec le travail ?
Vous devez adopter une démarche diagnostique consistant à interroger les conditions de travail de votre patient.. De quelle façon vit-il son travail ? Y a-t-il des éléments objectifs dans sa vie professionnelle qui pourraient être en lien avec les symptômes : arrivée d’un nouveau manager ? Modification de l’organisation dans l’entreprise ? Surcharge de travail ? Etc.
La souffrance au travail est une pathologie de la solitude. Il est impératif de croire ce que dit votre patient car il a lui-même bien du mal à comprendre ce qui lui arrive. Il peut parler de son travail sans faire de lien clair avec les maux dont il souffre.
Dès le moment où vous soupçonnez la possibilité d’un lien entre l’état de santé de votre patient et sa vie professionnelle, vous devez vous mettre en contact avec son médecin du travail, sous réserve de l’accord de votre patient.
Vous devez avoir conscience que ces patients sont souvent très investis dans leur travail. Ils auront donc du mal à accepter un arrêt de travail. Pourtant, celui-ci est essentiel pour permettre au patient de prendre de la distance avec ce qui le fait souffrir. Face au risque de stress post-traumatique l’urgence absolue est de faire cesser, faire sortir de la situation toxique. Cet arrêt de travail ne doit donc pas être un temps mort et il doit être présenté au patient comme une période de recul, lui permettant de se soigner, de comprendre et d’élaborer des solutions.
Ces solutions pourront être élaborées dans le cadre d’une coopération entre les différents acteurs (médecin du travail, généraliste, psychiatre, psychologue, coopération essentielle pour une prise en charge optimale de votre patient. Ces situations cliniques chronophages et complexes nécessitent souvent des regards croisés. Adresser le patient aux services de pathologies professionnelles ou aux consultations spécialisées de souffrance au travail peut être nécessaire pour le suivi médico-administratif.
Si votre patient vous demande un certificat médical, vous devez être conscient que le certificat établi risque d’être utilisé en justice et savoir que l’avocat de l’employeur en sera destinataire. Par conséquent, il est important de ne jamais citer de noms de tiers et de ne jamais évoquer la notion de harcèlement moral. Cette dernière est désormais en France une notion juridique qui ne doit pas être utilisée dans le contexte médical.
Le certificat doit être rédigé comme un certificat de “ coups et blessures ” mentionnant qu’il est “ remis en main propre à l’intéressé pour faire valoir ce que de droit ”.
Toutefois, la loi Kouchner qui permet désormais à votre patient de récupérer l’ensemble de ses dossiers médicaux, dont celui que vous possédez, peut vous dispenser d’établir ce certificat.