« A high profile expert on public health, Alain Braillon, has lost his position at the University Hospital of Amiens. »
C’est le British Medical Journal, l’une des revues médicales de référence, qui rapporte la nouvelle Outre-Manche : « Un grand expert de santé publique, Alain Braillon, a perdu son poste à l’hôpital universitaire d’Amiens. »
Comme c’est à côté de chez nous, un coup de pédale, et on passe lui dire bonjour. Il est déprimé, assez. Occupait son bureau comme un clandestin. N’en revient toujours pas de la décision qui le frappe. Détaille comment il a appris son éviction par courriel, « comme à France Télécom »
Et se désespère surtout pour les dossiers qu’il suivait.« J’avais mis en place, avec toutes les maternités de la région, publiques comme privées, un programme de lutte contre le tabagisme durant la grossesse. Ca tombe à l’eau. Alors qu’en France, on est très très bas, c’est la première cause de prématurité…La même chose pour les récidives dans les tentatives de suicide – alors qu’on enregistrait déjà des progrès. Ou encore la transmission de l’hépatite B de la mère à l’enfant. Tout est cassé. »
Ce docteur-là ne soigne pas avec un stéthoscope et des piqûres. Juste avec un papier et des crayons. Il dresse des statistiques – et adresse des critiques.
C’est tout le problème.
Pas coûteux, donc pas rentable…
« Cette suppression de poste a été décidée dans le cadre du ‘plan de retour à l’équilibre’ », avance Michel Slama, le président du CHU. Et c’est vrai. C’est vrai que, côté infirmières, un premier plan de licenciement a détruit 160 emplois. Et qu’un second plan doit suivre. C’est vrai également que, depuis la T2A, la tarification à l’acte, le docteur Alain Braillon ne rapporte rien : il ne fait pas passer de radio, il n’opère pas, vraiment pas rentable. Roselyne Bachelot l’avait promis, pourtant : « Les crédits de la prévention seront sanctuarisés »…
Mais la « réduction des coûts » n’explique pas tout. Voire rien du tout.
D’abord, côté médecins, la foudre n’est pas tombée au hasard : que sur la tête du docteur Braillon. C’est pourtant lui qui, en Picardie, publie le plus d’articles scientifiques médicaux dans les revues internationales. Et il s’autofinancerait largement, d’après son chef de service, le professeur Gérard Dubois : « En quatre ans, il a obtenu 500 000 € de subventions sur appels d’offres. »
La raison serait ailleurs.
« Touche pas à ma prostate ! »
Vous vous souvenez de cette pub ? « Le cancer de la prostate touche un homme sur neuf après cinquante ans. Faites-vous dépister ! » En 2009, toutes les radios nous en donnaient l’ordre, à nous, les hommes : il fallait qu’on se contrôle la glande – et éventuellement enlever.
Y avait du pèze à la clé.
Notamment pour « le puissant lobby des urologues ».
Là, c’est le docteur Braillon qui cause, et le professeur Dubois aussi, et plus de deux cents médecins finalement qui ont signé l’appel « Touche pas à ma prostate ! » Ce dépistage serait, selon eux, « coûteux et inutile ». Voire, ils avancent, « contre-productif, provoquant peut-être plus de cancers qu’il n’en élimine ». A l’inverse du cancer colorectal, efficace, et pourtant guère recommandé. C’est qu’il a l’inconvénient, disent-ils, « de ne rien coûter »…
Le docteur Braillon, donc, s’est fait des copains dans sa profession. Et comme il s’attaque, en prime, au gouvernement, qui a autorisé la publicité pour les alcools sur Internet, le voilà dans la ligne de mire. D’autant que ces prises de position, appuyées par des données, des comparaisons, ont trouvé un écho international. Dans les mois qui ont suivi cette polémique, l’Agence Régionale d’Hospitalisation lui coupait ses crédits. Un coup de plus porté contre le « service d’évaluation médicale » du professeur Dubois : déjà sans secrétaire, sans interne, il perd encore un membre… et il est poursuivi, par ailleurs, par la Confédération des buralistes pour avoir révélé un scoop : le tabac tuerait.
C’est pas à Fakir, on s’en doute, de départager les « pro-prostate » des « pro-colorectal ». Mais avec Alain Braillon, la santé publique perd une vigie. Et y en a pas tant que ça. Sans lui, sans eux, le Médiator serait encore vendu. L’amiante remplirait toujours nos bâtiments.
Et c’est le but, qui sait.
Qu’on taise les critiques, pas de débat sur ces choix. Qu’aucune vérité qui dérange ne sorte de ces recherches. Qu’on se contente des « experts officiels », qui expertisent aussi pour les laboratoires. Qu’on n’empêche pas l’économie – du médicament, notamment – de tourner en rond.
A croire qu’on préfère traiter les maladies en aval plutôt qu’en amont. C’est qu’il faut les traiter, justement, alors. Que c’est souvent long, coûteux – donc juteux. Mieux vaut guérir que prévenir.
Voilà qui rapporte. A certains.
(exclusivité édition électronique)