De Christiane Marty (Membre du Conseil scientifique d’Attac, co-auteure de « Retraites, l’heure de vérité », Syllepse, 2010)
Tribune en réponse à celle de Woerth et de quatre secrétaires d’Etat publiée dans Le Monde du 5 octobre. Elle est publiée dans l’Humanité.
Dans une tribune publiée par Le Monde du 5 octobre, Eric Woerth et quatre secrétaires d’Etat annoncent combattre les idées reçues et « agir sur les vraies causes des inégalités de pension entre hommes et femmes ». On y trouve un éventail de désinformation, mensonges et même une erreur grossière. Ce texte vise à rejeter l’entièreté du problème des retraites des femmes sur celui des inégalités de salaire entre les sexes : ce qui permet de nier l’impact particulièrement négatif sur les femmes des mesures phares de la réforme, le recul des bornes d’âge et l’allongement de la durée de cotisation.
Les inégalités de salaires ne sont pourtant qu’une des causes des faibles pensions des femmes. Les autres tiennent à leurs carrières plus courtes et au temps partiel, conséquences de l’inégalité entre les rôles sociaux attribués aux femmes et aux hommes, rarement mise en cause. Reprenons les allégations de la tribune.
Tout d’abord, cette erreur sidérante : on lit que « l’âge où l’on peut prendre sa retraite à taux plein, c’est 60 ans aujourd’hui et ce sera 62 ans demain ». « 65 ans, c’est autre chose : c’est l’âge à partir duquel il est possible de partir à la retraite sans décote ». Mais c’est exactement cela l’âge du taux plein, celui à partir duquel la décote ne s’applique plus ! Le ministre en charge d’une réforme fondée sur les bornes d’âges ignore donc leur définition ?
Le ministre affirme que les femmes ont aujourd’hui des carrières équivalentes à celles des hommes. Notons d’abord qu’il n’ose plus répéter le mensonge souvent utilisé, notamment lors du débat à l’assemblée, à savoir que les femmes nées dans les années 60 auraient quinze trimestres validés de plus que les hommes. Mais même atténuée, son affirmation reste fausse. Il est vrai que les écarts entre les durées validées par les hommes et les femmes se réduisent au fil des générations. Mais on reste loin aujourd’hui de durées équivalentes : les femmes parties en retraite dernièrement avaient toujours 5 annuités de moins que les hommes ! Rappelons que 5 annuités manquantes entrainent une décote de 25% qui s’applique sur une pension déjà diminuée, puisque calculée au prorata entre carrière réalisée et exigée.
Le Conseil d’orientation des retraites (COR) fait état de projections selon lesquelles les femmes pourraient avoir dans le futur une durée validée supérieure aux hommes, tout en rappelant que « ces projections suggèrent simplement que les écarts pourraient s’annuler voire s’inverser » (6ème rapport, 2008). M. Woerth méprise ces réserves, il affirme. Toute sa démonstration est basée sur ces projections qu’il n’hésite pas à déformer, mais qui surtout sont aujourd’hui obsolètes : elles ont été réalisées avant la loi de 2009 qui a réduit le nombre de trimestres attribués aux femmes du régime général au titre des enfants. En effet, elles ne bénéficient plus de deux ans par enfant (contrairement à ce qu’affirme la tribune) mais d’un an seulement, la seconde année étant maintenant attribuée au choix au père ou à la mère (les femmes fonctionnaires ne bénéficiaient que d’un an par enfant, réduit en 2003 à 6 mois pouvant être complétés sous condition). Compte tenu de l’importance qu’ont ces majorations par enfant pour aider au rattrapage des carrières des femmes, il est plus que probable que leur réduction repousse assez loin le moment de la convergence…
Selon les besoins de sa démonstration, le gouvernement déforme ou occulte les résultats publiés par le COR. Occulté, le résultat qui établit la pénalisation particulière des femmes en cas de report de l’âge de 60 ans, puisque les décalages de la date de départ en retraite seraient plus importants chez les femmes que chez les hommes. De même pour l’âge de 65 ans. Dans le régime général, 3 femmes sur 10 et un homme sur 20 attendent 65 ans, souvent dans la précarité, pour partir en retraite afin de ne pas subir la décote. Ces personnes devraient donc prolonger de deux ans cette situation. Non, nous dit-on, le minimum vieillesse leur resterait acquis à 65 ans. Quelle générosité ! On lit par ailleurs que des mesures pourraient être prises pour les parents de trois enfants : mais ce sont toutes les carrières courtes qui sont pénalisées par le recul à 67 ans, avec ou sans enfant !
Tout cela confirme l’injustice d’une réforme basée sur le report des bornes d’âge et l’allongement de durée de cotisation, qui pénalisera plus fortement les femmes déjà prépondérantes dans les faibles pensions.
Nos gouvernants ignorent l’impact négatif du temps partiel qui concerne un tiers des femmes et ampute fortement le montant de la pension. Une mesure juste serait la prise en charge par l’employeur de la cotisation sur la base du temps plein. Cela se justifie car le temps partiel, souvent imposé par les employeurs, leur est très bénéfique. Sa productivité horaire est supérieure à celle du temps plein, ce qui est approprié en totalité par l’entreprise.
La tribune nous sert les promesses habituelles de développement des modes de garde d’enfants, 200 000 places d’accueil seraient ainsi créées d’ici à 2012. D’une part, ce chiffre est tout à fait insuffisant : rappelons que seuls 10% des 2,3 millions d’enfants de moins de trois ans sont accueillis en crèches. D’autre part, il faut craindre la manière dont ce gouvernement crée des places supplémentaires : le décret de juin 2010 a autorisé un dépassement temporaire de 10 à 20 % de la capacité d’accueil dans les structures. Il a aussi réduit les normes sur l’encadrement obligatoire des enfants par le personnel. Difficile tout de même de prétendre offrir des solutions pour l’accueil des enfants en dégradant à ce point la qualité du service et les conditions de travail des professionnels…
Pour finir, les auteurs nous assurent que la lutte contre les inégalités de salaires est une priorité, un défi colossal que le gouvernement a décidé de relever, « la vérité oblige à dire qu’il devient urgent d’obtenir des résultats ». La réforme des retraites intègre justement « un dispositif qui met les entreprises face à leur responsabilité ». De quoi s’agit-il ? Il est prévu de pénaliser financièrement les entreprises qui n’élaborent pas le plan d’action contre les inégalités, obligatoire depuis 1983 ! Après trente ans de lois sur l’égalité professionnelle, on rappelle donc simplement aux entreprises qu’elles doivent, non pas agir, mais… produire un plan d’action. C’est navrant. Pour être efficace, la sanction financière doit s’appliquer pour absence de résultats en matière d’égalité, et elle doit être suffisamment forte pour être incitative. Une politique volontariste planifierait des actions positives d’augmentation des salaires des femmes à titre de rattrapage des inégalités subies. Elle s’attacherait aussi à améliorer l’emploi des femmes, en qualité comme en quantité, de larges marges de manœuvre existent, comme l’avait reconnu le COR. Ce serait favorable aux femmes comme au financement des retraites.
Une autre réforme est possible, juste et solidaire. Les femmes ne se laisseront jamais berner par quelques amendements à la marge. C’est le fondement même du projet qui doit être revu.
Christiane Marty
Membre du Conseil scientifique d’Attac, co-auteure de « Retraites, l’heure de vérité », Syllepse, 2010