Par Emmanuelle Boussard-Verrecchia, avocate
La santé prime. La cour d’appel de Paris vient, dans une affaire mettant en cause la Fnac, d’en fournir une belle démonstration. Plusieurs CHSCT des magasins Fnac avaient saisi le juge sur les incidences sur les conditions de travail des salariés d’un projet de réorganisation, comprenant un PSE. Le projet de centralisation des fonctions support (RH, finances, gestion administrative) entraînait la suppression de postes de cadres de support, licenciements projetés à l’appui. Les expertises diligentées à la demande des CHSCT concluaient toutes à une surcharge de travail structurelle importante pour les salariés restants. Ainsi, les experts avaient estimé que les responsables locaux des magasins pouvaient être amenés, du fait du report de charges sur eux, à effectuer plus de 10 heures par jour, plus de 48 heures par semaine, et plus de 44 heures pendant douze semaines, le tout avec des tâches complexifiées et diversifiées ! Avec une vision offensive de leurs pouvoirs, les CHSCT de la Fnac, auxquels s’étaient joints les syndicats CGT et SUD, accompagnés par mes confrères Savine Bernard et Slim Ben Achour et soutenus efficacement à l’audience par le ministère public, n’ont pas craint de développer avec succès une demande de suspension de la mise en œuvre d’une réorganisation dès lors que l’employeur n’avait pas suffisamment évalué, en amont de la réorganisation, les risques psychosociaux qui en découlaient.
La cour n’a pas lésiné (1). Le CHSCT, personne morale, est recevable à demander l’annulation d’un projet de réorganisation, eu égard à ses prérogatives dans les questions relatives aux conditions de travail des salariés dans le domaine notamment de la santé, ainsi qu’à demander la suspension corrélative des mesures prises en exécution du projet de réorganisation. Sur le fond, non seulement la cour demande des éléments complémentaires à la Fnac permettant d’apprécier le risque psychosocial, mais également ordonne la suspension de la mise en œuvre du projet de réorganisation des magasins ainsi que de toutes mesures prises pour son application, dont celles susceptibles d’entraîner la rupture des contrats de travail des salariés concernés prévue dans le PSE. Elle estime en effet que l’évaluation de la charge de travail doit prendre en compte les conditions de travail particulières des cadres forfait-jours, conformément aux dispositions du Code du travail, de l’ANI du 2 juillet 2008 au terme duquel la charge de travail attribuée aux salariés doit être compatible avec leurs horaires et leur vie privée, ainsi qu’aux dispositions de la charte sociale européenne relatives à ces mêmes préoccupations.
C’est une très efficace avancée sur la capacité d’action des CHSCT, qui vient renforcer, au niveau collectif, l’engagement de la responsabilité de l’employeur au niveau individuel lorsqu’il crée des situations de surcharge de travail aux conséquences parfois dramatiques pour le salarié – je pense ici notamment à la reconnaissance de la faute inexcusable de Renault par les tribunaux dans la survenance en 2006 et 2007 des suicides des salariés…
(1) CA Paris Pôle 6-2 du 13 décembre 2012 RG du 12/00303. Arrêt consultable sur loysel.fr.