Pour obtenir une évolution des pratiques professionnelles vers leurs standardisations (comme le préconise la Haute Autorité en Santé), la stratégie ne consiste pas à imposer autoritairement ce changement mais à déplacer la problématique sur le terrain de l’adhésion. Le premier temps consiste à rassembler les salariés autour de valeurs communes non contestables: la qualité, la satisfaction du client, le respect des droits du patient, la sécurité, “l’éthique du soin”, etc. Cette mise en avant de valeurs humanistes est un procédé utilisé dans l’entreprise depuis longtemps. Ainsi, on parle d’éthique, de satisfaction du client, de l’amour du bel ouvrage, etc. La mise en avant de valeurs communes, de l’intérêt commun, amène le salarié à prendre le risque de la condamnation morale s’il s’y oppose. Le corporatisme, la défense de la spécificité d’un champ professionnel, de sa déontologie ou d’une position syndicale apparaît comme une conduite “non constructive”ou “décevante”.
2° Vers une évaluation morale du salarié
Cette stratégie d’adhésion par les valeurs implique une évolution de l’évaluation du salarié vers un jugement moral de ses conduites. Cette évolution s’accompagne d’un changement de vocabulaire dans les entretiens annuels d’évaluation où l’on parle de plus en plus de “savoir être” et de “capacité d’intégration à l’équipe”. Afin d’accentuer cette pression du collectif sur l’individu, la culture d’appartenance (ou culture d’entreprise) est favorisée. Cela amène au phénomène d’illusion groupale : tout le monde est pareil, tout le monde pense pareil. Se singulariser devient alors menaçant pour le groupe qui saura stigmatiser, sinon plus, la brebis galeuse. Par exemple, lorsque vous êtes sollicité pour participer à un groupe, on vous dit bien que vous avez tout à fait le droit d’y participer ou pas. On vous dit que vous êtes libre. Comment, vous qui êtes bien entendu pour l’amélioration des choses, pourriez vous dans le même temps dire que vous refusez de participer à ce groupe de travail ? De même, on va vous demander de prendre connaissance de “guides de bonnes pratiques” (ce qu’on appelle dans d’autres lieux des “bibles d’entreprise”). Il vous sera clairement dit qu’il ne s’agit que de recommandations que vous êtes libre de suivre ou pas. La manipulation réside ici dans le fait que ce n’est pas votre liberté (au sens le plus éthique du terme) qui est sollicitée mais bien l’image que vous tenez à maintenir au sein du collectif de travail ainsi que vos craintes d’une condamnation morale, d’une stigmatisation et/ou d’une exclusion. Vous serez contraint à choisir librement d’aller dans le sens de celui dont vous craignez de perdre l’estime. Cette manipulation apparaît flagrante justement quand on tente d’y résister. Vous avez alors à vous confronter à la condamnation morale de la hiérarchie, voire du groupe dans son ensemble. Cela est extrêmement difficile à vivre et aboutit parfois à des situations de harcèlement.
3° De l’adhésion aux valeurs à l’acceptation de la méthode (technique du “pied dans la porte”)
Dans un premier temps, l’adhésion est donc suscitée en se servant de valeurs auxquelles les professionnels sont réellement attachés. Derrière ces valeurs, chaque professionnel défend des approches particulières ou partagées, une déontologie, une éthique. Le deuxième temps de cette stratégie consiste à séparer les valeurs de la façon dont les professionnels estiment pouvoir les garantir. Or, c’est bien cela qui caractérise normalement la spécificité des différents métiers. Pourtant dans ce deuxième temps, on ne demande plus l’avis du salarié sur ce qu’implique pour lui d’adhérer à telle ou telle valeur. On ne lui demande pas si la méthode d’évaluation est pertinente pour la spécificité de son métier. C’est ce que Beauvois et Joule nomme la technique du pied dans la porte. Cette technique est utilisée assez intuitivement par celui qui va vous demander dans un premier temps de signer une pétition pour telle ou telle cause (acte peu coûteux) pour ensuite vous demander de faire un don. Il y a une plus grande probabilité pour que vous donniez de l’argent si l’on vous a d’abord demandé de vous engager moralement par la signature d’une pétition (amorçage). Or ce n’était peut-être pas comme cela que vous estimiez pouvoir défendre la cause pour laquelle vous vous êtes engagé par votre signature.
4° L’adaptation des pratiques à l’outil d’évaluation
Cette façon particulière et propre à chaque métier de garantir les valeurs est remplacée par des critères et une méthodologie qui s’appliquent à tout le monde. Les critères ne peuvent être discutés dans la mesure où ils doivent être les mêmes pour toutes les institutions et où ils doivent convenir à tous les professionnels qui participent au travail d’évaluation. Cela aboutit à des critères très consensuels et axés sur ce qui est fait de manière très formel et objectivable. Sinon comment évaluer ? La méthodologie apparaît neutre alors qu’elle implique en fait une simplification des problématiques rencontrées dans l’exercice du travail réel. L’objectif est en effet de se donner des critères évaluables par le biais d’outils statistiques. Plus globalement, la logique de la tarification à l’acte implique d’adapter les métiers à la méthode d’évaluation alors que le bon sens impliquerait le contraire. Il est donc demandé à chacun de mettre un peu d’eau dans son vin, de renoncer à la manière spécifique du métier d’aborder telle ou telle question. Ainsi, en prenant comme cause morale la “qualité de la prise en charge”, le travail des “groupes qualité” ou d’évaluation des pratiques aboutit à la standardisation et à mettre en avant les pratiques se prêtant le mieux à l’évaluation. Le réel souci du soignant vis-à-vis du patient est utilisé, manipulé pour atteindre un autre objectif à savoir la standardisation des pratiques afin de pouvoir les faire rentrer dans le système de tarification à l’acte. Il y a là quelque chose d’équivalent aux tours de passe-passe du magicien. Toute la mise en scène est construite pour que vous focalisiez votre attention ailleurs que là où se joue la manipulation. Dans la démarche qualité, tout est fait pour se focaliser sur la qualité et les valeurs à défendre alors que c’est la méthodologie mise en oeuvre qui va guider la pensée.
5° La proclamation de l’autonomie et de la co-responsabilité
La liberté dans les échanges est proclamée, mais cette liberté de réflexion est guidée par le cadre méthodologique. Cette liberté proclamée vient également masquer la rigidité de ce cadre. On constate d’ailleurs que les groupes de travail autour de la qualité sont souvent animés par quelqu’un qui a été formé à cela. Par ailleurs, les membres du groupes doivent prendre connaissance de guides (souvent assez épais) leur expliquant comment doit se formaliser le produit de leurs réflexions. Ainsi l’autoévaluation est guidée dans un cadre extrêmement contraint mais toute la communication autour de la démarche qualité portera sur l’autonomie et le libre choix du professionnel. Le discours managérial prône l’autonomie des salariés mais aussi leur responsabilité au même titre que le directeur quant à l’avenir de l’institution. Au nom de cette “coresponsabilité”, le salarié doit faire preuve d’un certain réalisme et mettre de côté son appartenance professionnelle ou syndicale. Le voilà, lors de groupes de travail, à faire des choix qui vont à l’encontre de ses valeurs professionnels et de ce qu’il défendait jusque là. Cela l’amène à l’intériorisation de contraintes et d’objectifs qui, apparemment, ne lui ont pas été imposés de l’extérieur. Il devient donc impossible de s’opposer à quoi que ce soit ou de mettre en scène (institutionnellement) le conflit et la négociation. L’autoévaluation est basée sur le même principe que le contrat d’objectif. Ces deux outils managériaux visent à l’intériorisation de contraintes sans que celles-ci semblent imposées du dehors. Vous choisissez librement de vous mettre la pression !
6° La roue de la qualité ou l’amélioration continue de la qualité : ne jamais permettre une prise de recul
Lorsque vous arrivez au bout de ce travail d’évaluation et d’amélioration, vous avez la surprise de découvrir qu’il va falloir tout recommencer. On vous explique qu’il va falloir “évaluer les critères d’évaluation” toujours dans cet objectif d’amélioration continue. A partir de là, il faudra bien repartir pour un tour d’autoévaluation, de réajustement et de tout ce que vous voulez. Les managers appellent cela la “roue de la qualité” (ou roue de Deming) et vous êtes invité à entrer dedans et à la faire tourner comme un hamster ! Ce que redoutent le plus les tenants du discours managériale, c’est que cette roue cesse de tourner. C’est pour cette raison que les institutions se voient dotées de “qualiticiens”ou de “messieurs qualité”et de “cellules qualité” afin de dynamiser en permanence la “politique d’amélioration continue de la qualité”. Une prise de recul amène en effet à s’apercevoir que l’institution ne fonctionne pas mieux, que les valeurs mises en avant ne le sont que pour faire consensus et que l’objectif n’était pas d’améliorer les choses mais bien de normer et contrôler l’organisation du travail. Une prise de recul amène également à s’apercevoir que la qualité relève essentiellement d’une stratégie de communication indépendamment du travail réellement effectué. Cela n’a rien d’étonnant puisque la certification / accréditation se calque sur la norme ISO dont l’objectif est clairement de favoriser le jeu de la marchandisation. Par conséquent, si la qualité relève en interne d’une stratégie managériale, elle relève lorsqu’elle s’adresse au grand public, d’une stratégie marketing.
La démarche qualité se base sur les principes de la norme ISO 9000:2000 (systèmes de management de la qualité)
L’AFNOR-AFAQ est un organisme certificateur pour la norme ISO et qui vend du conseil en management. La Haute Autorité en Santé (anciennement ANAES) et l’AFAQ ont signé un accord de coopération en avril 2004. Il n’ y a donc rien d’étonnant à ce que le discours de la Haute Autorité en Santé rejoigne celui de l’ISO. Qu’est ce que l’ISO ? L’ISO (International Organisation for Standardization) est un réseau d’instituts nationaux de normalisation de 156 pays, selon le principe d’un membre par pays, dont le Secrétariat central, situé à Genève, Suisse, assure la coordination d’ensemble. Axées sur le marché L’ISO n’élabore que des normes répondant à un impératif du marché. Les travaux sont effectués par des experts du secteur (industriel, technique ou économique) qui a demandé les normes en question et qui les mettra en pratique. Ces experts peuvent être rejoints par d’autres ayant les compétences requises notamment, des experts des gouvernements, des autorités réglementaires, des organismes d’essais, du monde universitaire, des associations de consommateurs ou d’autres organisations concernées.
Comment résister à la manipulation managériale ?
Les managers sont comme les magiciens, ce qu’ils redoutent le plus, c’est la divulgation de leurs trucs. Pourquoi ? Parce que le succès du spectacle est proportionnellement lié à l’ignorance des spectateurs quant à la technique de manipulation. La première façon de résister consiste donc à divulguer au plus grand nombre les ficelles, les techniques de manipulations qui sont à l’oeuvre dans la démarche qualité. Il est par ailleurs important de faire prendre conscience aux cadres et aux directeurs qu’il y a dans ces méthodes une véritable perversion. Autrement dit, faire savoir qu’elles jouent entre autre sur la peur du jugement moral, qu’elles utilisent l’angoisse du salarié et qu’elles déstabilisent les repères qui fondent l’exercice professionnel. Jean-Pierre Le Goff (sociologue) constate à ce propos qu’elles ont l’effet inverse de celui qu’elles sont censées produire : déstabilisation de l’organisation du travail, arrêts maladie (dépressions, troubles somatiques), perte du sens. Adhérer à des valeurs n’implique pas d’adhérer à une manière commune de les garantir. Les guides de recommandations, en s’adressant à tous les professionnels indistinctement, suggèrent pourtant que si. Au nom de sa déontologie ou du risque de fautes professionnels liés à cette simplification de la pratique, le professionnel peut refuser de suivre ces recommandations. De même, les groupes qualité ou d’évaluation des pratiques, en imposant une méthodologie commune et basée sur la “preuve”, simplifie dangereusement des questions que les professionnels se doivent de prendre en compte dans toute leurs complexités. Au nom de ces valeurs mises en avant, le professionnel peut justement refuser de participer à ces groupes. Il faut donc faire référence au code de déontologie et aux autres textes de loi qui régissent sa profession pour refuser d’entrer dans une logique d’évaluation réductrice. User correctement du langage (extrait de “la barbarie douce” de Jean-Pierre Le Goff) Combattre la barbarie douce commence par le refus individuel d’entrer dans cette logomachie qui déstructure les significations. Dans la vie professionnelle comme dans la vie politique, il s’agit de ne plus accepter sans réagir les discours qui dissolvent les réalités et les contradictions dans un verbiage tournoyant, le jargon faussement savant qui masque l’inconsistance du propos. Dans les réunions interminables où sévissent les rhéteurs du modernisme, il faut prendre la parole pour dire (si possible avec humour) qu’on ne comprend rien et poser simplement la question : “que signifient au juste ces circonvolutions ? Quel est l’objet précis du propos ?” Cet acte peut paraître aisé, mais il ne l’est pas. Il implique en effet un certain courage quand cette logomachie est l’oeuvre de votre propre hiérarchie ou de ceux qui sont censés incarner l’institution. Mais il suffit parfois de ce genre de “grain de sable” pour enrayer la machinerie de l’insignifiance et du même coup redonner vie et consistance au débat, en n’évacuant plus les réalités premières et les contradictions. De tels “actes de rupture” n’ont de sens que s’ils s’accompagnent de l’exigence de ne pas tricher avec les mots et de “serrer le langage” en s’efforçant de nommer correctement les choses et en mettant en cohérence ses paroles et ses actes.(…)
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je suis dans la premiere phase de la moulinette pdca peux tu me donner des auteurs qui ont travaillés sur le sujet par avance merci
Salut,
C’est un document qui circule et qui n’est pas signé.
voici sa bibliographie, ça peut t’aider:
Christophe Dejours L’évaluation du travail à l’épreuve du réel, Critique des fondements de
l’évaluation, Dijon : INRA Éditions, 2003.
Jean-Pierre Le Goff, LE MYTHE DE L’ENTREPRISE Critique de l’idéologie managériale,
Edition La Découverte,1996.
Jean Pierre Le Goff, La barbarie douce, Editions La Découverte, 1999.
Robert-Vincent Joule, Jean-Léon Beauvois, Petit traité de manipulation à l’usage des
honnêtes gens,2002, Broché.
Robert-Vincent Joule, Jean-Léon Beauvois, La soumission librement consentie : Comment
amener les gens à faire librement ce qu’ils doivent faire ? , Broché.