Le document fait 147 pages, et c’est un brûlot. Il traite de la santé des 10 000 salariés du centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes en 2010. Difficile de contester son impartialité : le rapport a été rédigé par les praticiens du service de médecine du travail de l’établissement. Ce mémorandum, « c’est le Livre noir de l’hôpital », affirme Bruno Cassard. Le délégué syndical (SUD) ne se fait pas d’illusions : « Un rapport de ce calibre, on n’en aura pas deux à suivre. La direction a bondi quand elle a vu le document sortir. »
Les conclusions sont très dures. « Les signes de souffrance observés chez le personnel ne cessent d’augmenter, tous grades confondus, et notamment au niveau de l’encadrement, ce qui est un phénomène plus récent », égrènent les médecins. Les visites dites « d’urgence » sont en hausse, tout comme les visites ordinaires (3 894 en 2010, contre 3 056 en 2009).
Agressivité, anxiété
Les agents se plaignent de « la charge et du rythme de travail », ainsi que de « la dégradation des conditions de travail ». Un comble : le personnel médical et paramédical se retrouve perclus de « symptômes neuropsychologiques et émotionnels ». Irritabilité, agressivité, anxiété, crises de larmes, syndrome d’épuisement sont relevés. Des troubles du sommeil et de la sphère digestive, mais aussi de multiples affections périarticulaires, sont déplorés. Des cas de tachycardie et d’asthénie sont signalés.
La direction de l’hôpital, qui regimbe à remplacer les salariés absents, est mise en accusation. « Quand les arrêts se succèdent ou surviennent à l’improviste, les équipes font face par des retours sur repos, des modifications de planning de dernière minute, des heures supplémentaires avec une incapacité croissante des cadres à fournir des plannings et des roulements suffisamment à l’avance », relate le rapport, dont Le Monde a obtenu une copie. La situation génère « de plus en plus un épuisement professionnel que, désormais, beaucoup osent exprimer, généralement quand ils sont au bout du rouleau, voire en « burn-out » ». Le rapport souligne une hausse des avis d’aptitude avec restrictions ou aménagements de poste, préconisations difficiles à observer du fait d' »un nombre restreint de possibilités » et de « contraintes élevées de rentabilité ».
Rencontré en présence de la direction, le docteur Dominique Tripodi, responsable de l’unité santé, travail, cosignataire de l’expertise avec huit confrères, nuance la portée alarmiste du constat mais concède qu’il reflète « une période de mutation difficile ». Le CHU de Nantes, qui souffrait en 2007 d’un déficit abyssal de près de 33 millions d’euros, a été soumis à une thérapie de choc, combinant réduction d’effectifs, rétrocession de quatre jours de congé et augmentation du nombre d’actes médicaux prodigués.
L’opération est une réussite en termes comptables : le retour à l’équilibre, initialement prévu fin 2012, devrait être atteint cette année. « Ce qui a été demandé aux agents est énorme, dit M. Tripodi. Le plan de restructuration, la révision des effectifs, les nouveaux projets, tels que le regroupement de l’hôpital sur l’île de Nantes ou le développement de la médecine ambulatoire, ont généré stress et fatigue. »
L’hôpital « a su relever le défi », indique Sandrine Delage, directrice adjointe, qui veut croire à « une embellie ». Une centaine de personnes ont été recrutées entre mars 2010 et mars 2011. Mais les syndicats récusent « cette vision optimiste ». « On rattrape tout juste les effectifs de 2007, fustige Olivier Terrien (CGT). Or, l’activité de l’établissement a augmenté de 8 %. » »On a peut-être repris des parts de marché aux cliniques, mais au prix de quelles souffrances », poursuit Emmanuel Renaud, élu CFDT. La situation nantaise n’est « hélas pas une exception », répète-t-on. « C’est un cas d’école. »
© Le Monde.fr | Yan Gauchard