Source : l’humanité.fr
Un programme immobilier de prestige est prévu dans la ville rose sur le superbe site de la Grave. Les services de médecine sociale et les associations d’aide aux plus démunis y sont devenus indésirables.
Christine Torrent est née à Saint-Cyprien il y a 63 ans et y a toujours vécu. Elle préside le comité de ce quartier situé sur la rive gauche de la Garonne, à Toulouse. Longtemps, « Saint-Cyp » a été un faubourg populaire où cohabitaient républicains espagnols, gitans, personnes venues des campagnes… Mais les temps changent. Christine doit désormais mener bataille, avec beaucoup d’autres, pour conserver les services de médecine sociale et d’aide aux plus démunis implantés sur le site de la Grave, hôpital historique de la Ville rose. Des activités mises en péril par un promoteur immobilier qui veut tirer profit de ce joyau patrimonial. « Pour notre plus grand malheur, nous avons un site merveilleux ! » ironise-t-elle.
« On privatise et marchandise l’espace public. Ève Scholtes, comité solidaire Abbé-Pierre.
Juste à côté des bâtiments historiques en brique, le promoteur Kaufman & Broad, omniprésent à Toulouse, a acheté au CHU les locaux désaffectés de l’Institut d’oncologie Claudius-Regaud. À la place, il ne reste pour le moment qu’un trou béant. Les murs n’offraient pas d’intérêt architectural, mais le lieu aurait pu trouver une autre utilisation que la résidence hôtelière quatre étoiles prévue par le promoteur. Dans la presse locale, celui-ci assure que son programme immobilier comportera aussi des logements sociaux ou à prix maîtrisés. Mais dans ses documents publicitaires, il vante surtout « de spacieux appartements d’exception prolongés par de généreuses terrasses ». Avec vue sur la Grave, le dôme, la Garonne, les quais…
Le pavillon Nanta : point d’écoute psychologique en danger
Un problème cependant : le pavillon Nanta, au beau milieu du site historique classé. Un peu délabré, il gâche le paysage. Ses occupants, surtout, contrarient Kaufman & Broad. Depuis 2017, le lieu accueille des personnes sans domicile et abrite aussi les locaux du centre solidaire Abbé-Pierre et de Droit au logement (DAL). Ces associations assurent gratuitement du soutien scolaire, des cours de français, des ateliers de retouche couture… C’est aussi un point d’écoute psychologique. Mais ces activités attirent une population en grande précarité, qui devient indésirable juste devant un hôtel haut de gamme. Indésirables également, les personnes en souffrance qui fréquentent les derniers services de médecine sociale de l’hôpital de la Grave : consultations psychiatriques et gériatriques, permanence d’accès aux soins, centre de santé sexuelle… Des activités médicales assurées ici jusqu’en 2022 mais qui doivent migrer ensuite vers un site éloigné du centre-ville.
La menace d’une procédure d’expulsion
Pourtant, le centre solidaire Abbé-Pierre et le DAL ont négocié avec la municipalité une convention de relogement dans le périmètre de la Grave. Mais le Capitole ne l’a pas signée et refuse de s’exprimer sur ce dossier, alors que la mairie et le CHU ont engagé une procédure d’expulsion. Le service de presse se contente d’indiquer : « Une convention a été discutée et n’est pas arrivée à son terme. Elle n’est plus possible pour des raisons financières, suite à la crise sanitaire. » Or, le tribunal administratif pourrait se prononcer dans les jours à venir sur la procédure d’expulsion.
« On privatise et marchandise l’espace public », se désole Ève Scholtes, du comité solidaire Abbé-Pierre. Ce qui se produit à Saint-Cyprien, comme dans nombre de quartiers populaires mais dotés d’un patrimoine historique, c’est une appropriation de l’espace par les classes aisées au détriment des habitants traditionnels. Un programme immobilier de prestige ne saurait voisiner avec des populations précaires…
Le projet Kaufman & Broad ne serait qu’une étape
D’autant que le projet Kaufman & Broad ne serait qu’une étape, alerte Mathieu Félix, syndicaliste CGT à l’hôpital : « Le CHU veut vendre une autre partie du périmètre de la Grave. » Une parcelle un peu plus éloignée de la Garonne, mais qui jouxte un jardin public et le musée d’Art contemporain des Abattoirs. Surtout, elle accueille un service de pédopsychiatrie et la halte santé, où sont soignées des personnes qui vivent à la rue. Face à cette nouvelle menace, Christine Torrent rappelle les revendications : « Reloger les occupants du pavillon Nanta. Maintenir les services de santé. Tenir compte de l’avis des habitants de Saint-Cyprien ! »