[INFO MEDIACITES] Peut-on mourir, en 2019, aux urgences de Purpan en raison d’un manque de personnel soignant ? C’est la question qui se pose après le décès, le 2 février dernier, d’un patient dans le sas entrant de ce service.
ParEric Dourel– 9 avril 2019
L’Hôpital Purpan à Toulouse ©ANDIA
Il y a un an, Mediacités publiait les CHU Leaks, une fuite inédite de plus de 26 000 fiches d’incident qui relataient crûment le quotidien des agents, personnels médicaux et patients à l’hôpital de Toulouse. Graves dysfonctionnements techniques, sous-effectif constant, mises en danger de la vie des patients… Le constat était inquiétant et l’écho de nos révélations fut important. Un an plus tard, comment la situation a-t-elle évolué ? En tentant de répondre à cette question, nous étions loin de penser mettre à jour un événement particulièrement dramatique.
Début février, l’épidémie de grippe s’est installée en Occitanie. Les urgences, déjà saturées en temps normal (200 à 250 personnes y passent quotidiennement), sont en première ligne et doivent faire face à des pics de fréquentation qui peuvent grimper jusqu’à 400 passages en une journée. La direction du CHU a activé depuis le 21 janvier son dispositif « hôpital en tension » pour « accueillir tous les malades dans des conditions de sécurité et de qualité les plus optimales ». Elle précise à Mediacités que les équipes ont été renforcées : « Le 2 février, les effectifs alloués à l’activité des box et des sas étaient de 3 médecins, 3 internes et 8 infirmiers pour 51 patients. »
Au secteur des urgences, la situation est beaucoup plus tendue. Et ce samedi 2 février après-midi, c’est le drame. Suite à un malaise, un patient d’une soixantaine d’années arrive avec le Samu, en début d’après-midi. « C’était la mi-journée et le service était déjà gavé. On avait la tête sous l’eau », se rappelle un agent. A ce moment-là, il y a « 25 patients présents pour 2 infirmiers diplômés d’état », précisera le compte-rendu officiel du Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) rédigé par la suite. Soit un infirmier pour 12 patients au niveau des sas.
Une soignante raconte en détail à Mediacités le déroulé des événements. « Au moment où ce malade arrive, le collègue infirmier est seul pour gérer les entrants, réguler les flux, surveiller les patients placés dans les sas (ndlr : il y a deux sas entrants et un sas sortant). Il a dirigé ce monsieur, qui était sur un brancard, vers le sas entrant – autrement dit une salle collective qui peut accueillir jusqu’à quatre patients, où les malades sont mis en attendant qu’une place se libère dans un box. Ce collègue bossait en flux tendu depuis 10 heures du matin. Il a fait une pause d’un quart d’heure, aux alentours de 17 heures. Quand il est revenu, le patient était en arrêt cardiaque. »
« Seul, sur son brancard »
La tentative de réanimation sera vaine. Ce décès « a engendré une très grosse émotion et une forte colère parmi le personnel, indique le syndicat SUD. Même si nous n’accusons pas la direction, nous avons un doute sérieux quant à la mort de ce Monsieur. Ça fait longtemps qu’on redoutait que ce genre d’événement survienne. Peut-être qu’au final, il serait quand même décédé, mais pas comme ça, pas dans ces conditions là, pas seul sur son brancard ».
Même constat du côté de la CGT : « Le problème des sas et du sous-effectif est connu depuis très longtemps par la direction. Ça fait des années qu’on l’alerte sur ce sujet, mais elle l’a toujours nié ». La CFDT reconnaît elle aussi « avoir été très impactée par cette histoire. La direction a beau nous nous promettre qu’elle va changer de logiciels, de bâtiments, de méthodes, on va rester toujours dans la même configuration : pas de lits et pas d’agents supplémentaires ».
Les 3 et 5 février, deux procédures pour Danger Grave et Imminent (DGI) sont initiées coup sur coup par les personnels. La première « suite aux événements dramatiques survenus sur le sas entrant » ; la seconde pour dénoncer « le nombre important de patients arrivant aux urgences ainsi que le nombre de patients présents dans les Sas et dans les couloirs ». Cette procédure permet aux salariés d’alerter leur employeur sur une situation professionnelle à risque et d’exercer un droit de retrait s’ils jugent cette situation potentiellement dangereuse. « Nous ne pouvons plus continuer à travailler dans ces conditions qui nous mettent en danger, ainsi que les patients », indiquent-ils.
Ces alertes déclenchent des enquêtes du CHSCT. Dans les deux cas, elles arrivent aux mêmes conclusions comme l’atteste le document ci-après :
La direction a tenté de réagir comme le montre cet autre document interne que nous publions. On peut y lire qu’elle a décidé de renforts ponctuels, le temps du week-end, « d’un binôme IDE/AS H 24 » – soit une équipe composée d’une infirmière et d’une aide-soignante qui se relaie vingt-quatre heures sur vingt-quatre – et d’un « bed manager » afin de « fluidifier les transferts de patients depuis les urgences ». Elle évoque aussi un prochain recensement pour « l’achat d’équipements indispensables au bon fonctionnement du service ».
Force est de constater que la réponse n’a pas été jugée à la hauteur des besoins. « La direction est restée sur une position de renfort très ponctuel et non pérenne », souligne cette infirmière. Résultat : le 11 février, les agents du pôle Urgences ont déposé un préavis de grève. Leurs revendications portent sur « le sous-effectif structurel et conjoncturel des services des Urgences ». A aucun moment, cependant, le cas de la mort suspecte du patient du 2 février n’a été abordée. Ni par les grévistes ni par quiconque d’ailleurs. Pour quelles raisons ?
« On a voulu protéger la famille »
« L’équipe a demandé à ce qu’on n’en parle pas », reconnaît une membre du CHSCT. « On a décidé collectivement de ne pas raconter cet incident. On a voulu protéger la famille », explique une soignante. La direction le reconnaît devant Mediacités : « L’équipe a été affectée par ce décès. Elle a été soutenue par les deux directeurs de garde, le directeur du site de Purpan et l’encadrement supérieur. Un soutien psychologique a été proposé à l’infirmier confronté à ce décès, mais il ne l’a pas souhaité in fine. »
Selon un porte-parole du CHU, la prise en charge de ce patient « a été réalisée de manière diligente ». Pourtant, le drame est bel et bien survenu. Ce qui ne peut que raviver le constat d’un établissement vivant toujours au bord de la crise de nerfs.
Pour réaliser cette enquête, nous avons rencontré à trois reprises des agents du CHU – syndiqués ou non – et avons été en contact téléphonique avec huit autres. Nous avons également consulté plusieurs documents (comptes-rendus de CHSCT, procédures d’alertes, témoignages…). A leur demande, nous nous sommes engagés à ne pas divulguer leurs noms et prénoms.
Nous avons également interrogé l’Agence Régionale de Santé qui nous a envoyé le courriel lapidaire suivant : « Le signalement de cet EIG (Evènement Indésirable Grave) a été fait auprès de l’ARS et est en cours d’instruction par nos services. » La direction nous apporté les réponses qui figurent dans l’article ci-dessus tout en nous mettant en garde : « Je vous demande de ne pas publier d’éléments sur ce décès qui viendraient nourrir un dysfonctionnement allégué, qui n’est en rien avéré médicalement, pour respecter la famille qui vit l’épreuve d’un deuil. La publication d’éléments précis sur ce décès, à partir d’informations erronées ou présentées de manière instrumentalisée, relèverait de la violation du secret médical. »
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