– Mediapart.fr
Les salariées de la polyclinique de Tarbes sont en grève depuis le 8 novembre et ont voté mercredi 4 janvier la reconduction du mouvement. Exigeant de meilleures conditions de travail et une hausse des salaires, les grévistes plaident pour une amélioration de la prise en charge des patients. Et pointent les dérives de leur patron, Médipôle Partenaires.
« Il y a quelques mois, ils sont arrivés avec une nouvelle fiche de poste, selon laquelle nous cessons d’être des agents de service hospitalier (ASH) pour devenir des employés des services d’hygiène (ESH). En clair, on sort de l’équipe médicale et il n’y a plus de contact avec les patients. On ne fait plus que du ménage. » Quand elle a appris ça, Séverine, ASH depuis 15 ans et 9 mois à la polyclinique de l’Ormeau de Tarbes (Hautes-Pyrénées) pour 1 260 euros net par mois, dont deux dimanches travaillés, a passé « plusieurs soirées difficiles » en rentrant à la maison : « J’ai toujours été très impliquée dans les services avec les soignants, on est les maillons d’une chaîne, on a besoin de ce contact-là. » Assises à ses côtés dans l’amphi de la bourse du travail de Tarbes où se tiennent les AG quotidiennes, Cathy, infirmière, Isabelle et Patricia, aides-soignantes, approuvent. Des grévistes qui sont, très majoritairement, des femmes : infirmières, aides-soignantes, ASH, personnels administratifs… « C’est un salariat à 90 % féminin, indique Laurence Charroy, déléguée syndicale CGT du personnel, et la plupart des rares salariés masculins sont des médecins… » Quasiment aucun d’entre eux ne soutient le mouvement.
Depuis le 8 novembre, la « chaîne » des salariées de la polyclinique de l’Ormeau, à Tarbes, tourne en mode grève. Diminution des postes, mutualisation des services, « polyvalence » et flexibilité accrue des personnels, recours à un matériel de mauvaise qualité : le schéma de réorganisation prôné par le groupe Médipôle Partenaires, qui dirige la polyclinique depuis juin 2015, ne passe pas. Et plus que les négociations annuelles obligatoires (NAO) du 4 novembre, « c’est cette dégradation des conditions de travail qui a vraiment déclenché le mouvement », assure Laurence Charroy. Les grévistes demandent une augmentation de 2,6 % du salaire de base (en faisant passer le revenu annuel garanti – RAG – de 5,7 % à 8,3 %), une hausse de 3 % de la valeur du point d’indice et une prime annuelle pérenne de 900 euros net. « Sachant qu’à ce jour, nous n’avons ni primes, ni 13e mois », précise Laurence Charroy. Ils réclament aussi « une meilleure prise en charge des patients où l’humain garde toute sa place et ne s’efface pas devant les considérations purement financières ».
Alors que le dialogue était totalement rompu depuis le 26 décembre, après le refus par la direction de la polyclinique de suivre les recommandations du médiateur, une réunion s’est tenue mardi 3 janvier au soir, à la préfecture de Toulouse. Côté État, le préfet Pascal Mailhos, la directrice de l’agence régionale de santé (ARS), le directeur de la DIRRECTE et le commissaire à la réindustrialisation étaient présents. Côté polyclinique, le directeur Cyril Dufourcq était accompagné du DRH, de la directrice opérationnelle et du PDG du groupe, Philippe Gravier. La réunion a duré jusqu’à deux heures du matin. « On s’est entendu sur la réévaluation du RAG à 8,3 %. Pour le reste, ils maintiennent une proposition de prime à 500 euros alors même que le médiateur propose 700 euros et il n’y a aucune avancée pour l’instant sur le point d’indice », résume José Navarro, secrétaire adjoint de l’UD-CGT des Hautes-Pyrénées, présent à la réunion avec Laurence Charroy, le secrétaire de l’UD et un représentant de la fédération santé.
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Des propositions qui ont provoqué « déception et colère » des grévistes, indiquait Laurence Charroy ce mercredi en début d’après-midi, alors qu’une action s’apprêtait à débuter à la gare de Toulouse. Au 57e jour de grève, l’AG a voté à l’unanimité la reconduction du mouvement. De son côté, la direction appelle dans un communiqué de presse « à la responsabilité des salariés grévistes et au retour au travail ». Tout indique pourtant que la mobilisation va rester forte. « Quand le conflit a démarré, on était sur un taux de 80 % de grévistes, confie José Navarro. Aujourd’hui, ça oscille entre 45 et 60 %. »
Seule polyclinique des Hautes-Pyrénées, l’Ormeau emploie environ 500 salariés sur ses deux pôles tarbais – Ormeau Centre et Ormeau Pyrénées. Son propriétaire, Médipôle Partenaires, lui-même issu de la fusion de Médi-partenaires et Médipôle Sud Santé, est no 3 du secteur de la santé privé en France. Dans les mains du fonds de capital-investissement international Bridgepoint, le groupe a vu cette année la Banque publique d’investissement (BPI) rentrer dans son capital à hauteur de 95 millions d’euros. Sur le premier semestre 2016, « le chiffre d’affaires s’inscrit en hausse de 4 %, à 460,4 millions d’euros », se félicite le groupe dans un communiqué où il envisage une « introduction en Bourse sur Euronext Paris ».
Dysfonctionnements à tous les étages
Détenant 35 cliniques ou hôpitaux privés, Médipôle Partenaires a entamé des négociations avec le groupe Elsan, propriétaire de 80 établissements de santé privés en France, en vue d’un rapprochement au premier semestre 2017. Cette fusion des numéros 2 et 3 du secteur leur permettrait de venir chatouiller le numéro 1, Ramsay Générale de santé. Une dynamique de fusion-acquisition et de constitution de monopole impulsée par les fonds de pension internationaux, mais dont les effets sont au cœur du conflit social à Tarbes.
« On voit bien que la logique de l’ultrarentabilité est aujourd’hui à l’œuvre dans tous les secteurs, s’indigne Fatima, infirmière, dix ans d’ancienneté, 1 500 euros net par mois. Mais là, ça s’applique au secteur de la santé. Et la logique consistant à ne pas remplacer les départs, à réduire systématiquement les coûts, à exiger une polyvalence et une disponibilité plus grandew des personnels soignants, engendre des surcharges de travail, qui génèrent des dysfonctionnements, qui ont des conséquences directes sur la qualité de l’accueil et des soins que nous portons aux patients ! » En plus des salaires chiches, « entre 300 et 500 euros » moins élevés que ceux du public, estime-t-elle, les personnels soignants de l’Ormeau ne manquent pas d’exemples illustrant les pratiques d’une direction qui assume « sans honte » son credo très libéral.
Comme cette franche mise au point : « la santé évolue, vous n’avez plus affaire à des patients, mais à des clients » ; ou cette réunion où il est expliqué que la personne à l’accueil sera remplacée par un écran digital. Face aux interrogations des salariées, la réponse fuse : « Ils l’ont fait chez Ikea, avec du fléchage au sol, cela marche très bien. » Ces agents ont aussi appris qu’elles auront désormais affaire à une « gouvernante » : « Ils nous ont dit qu’on serait comme des femmes de chambres, que l’on ferait de l’hôtellerie. » Ou l’arrivée d’une centrale d’achat, en mode bulldozer low-cost. « Le petit matériel, les gants, les Absorbex, le papier-toilette… tout a baissé en qualité, témoignent Séverine, ASH, Cathy, infirmière (25 ans d’ancienneté, 2 000 euros par mois en travaillant souvent de nuit), ou Isabelle et Patricia, aides-soignantes (17 et 14 ans d’ancienneté, 1 300 euros par mois). Et avant, on confiait le nettoyage et l’entretien de la lingerie à un petit CAT [centre d’apprentissage par le travail – ndlr] de la région, ça nous permettait de travailler avec des acteurs de la vie locale. Ils y ont mis fin brutalement et le CAT a perdu son contrat… »
Dans le registre mis à la disposition des patients, les récriminations abondent : dysfonctionnements administratifs, prise en charge « lamentable », accompagnement médical insuffisant, coût trop élevé. Avec la nouvelle direction, le prix des chambres individuelles est passé de 50 à 70 euros par jour. « On a senti le début de la dégradation dès 2014, assure Laurence Charroy, quand les médecins qui possédaient la clinique ont décidé de la vendre. Ils se sont mis à resserrer la masse salariale, à augmenter la flexibilité des personnels. Notre argument principal, c’est la prise en charge du patient. » Elle explique : « Ils nous disent qu’une infirmière est une infirmière. Certes. Mais on n’a pas la même efficacité de soin en passant sans cesse d’un service à l’autre. Et pour les personnes qui travaillent, cela renforce la sensation de se mettre en danger. Il y a un effet de stress très mesurable : en 2015, le nombre d’arrêts maladie de courte durée a explosé de 30 % chez les salariées. Ils remplacent le moins possible les absences, et par conséquent, il y a beaucoup d’épuisement et de burn-out… »
Circonstance aggravante à la situation, la polyclinique de l’Ormeau occupe une place importante dans le secteur de la santé sur la ville et le département. Elle bénéficie d’autorisations de soin dans des domaines qui, comme l’oncologie, la chirurgie vasculaire ou urologique, ne sont pas présents à l’hôpital de Tarbes. « Marisol Touraine a dit qu’il s’agissait d’un conflit du travail, mais on est bien là dans quelque chose qui relève de la santé publique », remarque José Navarro.
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Une dimension qui, malgré les efforts déployés par la direction pour imputer aux seuls grévistes la responsabilité du ralentissement de l’activité (de nombreuses interventions ont dû être reportées depuis le début de la grève), n’a pas échappé à la population : le loto et le concert de soutien organisés en décembre ont recueilli un franc succès. Les manifestations de soutien à Tarbes ont réuni près de 2 000 personnes, « plus que pour la loi travail », assurent les grévistes. Et la lettre ouverte envoyée à Marisol Touraine (publiée dans Mediapart) a été signée par la plupart des responsables politiques de la gauche française. « Il y a une tradition de lutte dans cette ville, assure Marie-Pierre Vieu, élue PCF de la ville, premier soutien des grévistes. Il s’agit de trouver les gestes pour parler à la population et prolonger la dynamique de leur mobilisation en confortant une solidarité intelligente. Par le biais de la BPI, l’État est actionnaire, l’ARS et Marisol Touraine doivent donc être interpellées. »
« L’une des premières choses que l’on apprend en école d’infirmière, c’est que pour bien prendre soin des autres, il faut prendre soin de soi. Et notre employeur ne prend pas soin de nous… », nous confiait lundi soir Aurélie, jeune infirmière. Dans son dos, la façade de la clinique était nettoyée des affiches des grévistes.
Médecin, j’ai été obligé d’alerter les services locaux de l’ARS à Tarbes, en raison de graves dysfonctionnements du service de maternité de la clinique. Par manque de personnel, les accouchées sont laissées pendant des heures sans aucune surveillance… le personnel ne peut assurer pendant la nuit le suivi de toutes les accouchées, même lorsque la vie d’une personne peut être mise en danger. Ce qui a été le cas !
Etrange écho à ce que disent les salariées de la clinique, et qui justifie amplement leur mouvement de grève !!!
Ma réclamation en termes courtois, n’a reçu aucune réponse à ce jour, ni de la direction, ni de l’ARS, et cela depuis 4 mois.