Je vais vous raconter une petite histoire..
Une petite histoire à ma petite échelle à moi, mais qui rejoint celle de tous mes collègues dans tous les services de mon hôpital, et en qui se retrouveront une grande partie des personnes qui travaillent dans le public et dans le privé confondus.
Donc, je travaille à l’hôpital, à l’hôpital Purpan de Toulouse, qui vient en 2014 et 2015 de s’octroyer deux nouveaux super ensembles rassemblant désormais la quasi-totalité de l’activité du site, tout en réorganisant et en rationalisant la dite activité.
En langage commun : faire plus avec moins de moyens humains.
Je suis infirmière. Dans un service de Médecine Interne, discipline assez mal identifiée, et qui a des missions de diagnostic, de recherche et de traitement. Nous avons comme partout des patients anxieux, parce qu’ils viennent parfois après des années d’errance, des patients affaiblis, beaucoup de patients « chroniques », avec lesquels des liens forts se tissent.
Je n’ai pas toujours été infirmière. Après des « humanités » dans des universités de gauche, j’ai fait de petites choses en me demandant quel sens donner à ma vie professionnelle. Je suis devenue infirmière car l’aspect relationnel avec les patients m’attirait. Donner aux autres.. (un reste de vision judéo-chrétienne peut-être.. ) Allo Mr Freud ?? . Et je suis entrée à l’hôpital. Pas par hasard. Ni parce que le statut de fonctionnaire m’attirait. Mais parce que je ne voulais pas travailler pour « une boite à fric », comme je me représentais les cliniques privées. Le coté mission de service public de l’hôpital me convenait, et j’ai été fière d’y participer.
Bon an, mal an, les années ont passé.
Tisser des liens avec les patients, participer aux projets de soins, épauler les malades et leurs familles, travailler en équipe, tout cela, malgré bien sur les aléas de service, les difficultés liées au planning, au manque de reconnaissance de la part des médecins, de la hiérarchie, tout cela malgré tout me plaisait, me remplissait.
Et puis, il y a eu la construction de ces deux nouveaux supers hôpitaux à Purpan, inaugurés en mai 2014 pour Pierre Paul Riquet, et juin 2015 pour l’URM. Deux ensembles qui regroupent la quasi-totalité de l’activité de soins : hospitalisation, blocs, imagerie, consultations, urgences.. Je vous passe les hérésies du style : pourquoi a-t-on regroupé toute l’activité de Purpan au même endroit sans avoir pensé à comment les agents allaient se garer pour venir travailler. Conséquence : depuis 2 ans, c’est le Far West à Purpan ! Je sais, on est en plein dans le trivial, mais c’est très révélateur du reste !
A savoir, que « l’agent hospitalier » devient un pion, une donnée comptable que l’on déplace de ci de là au gré des besoins. De là à considérer que le patient est lui aussi une donnée comptable que l’on transforme en temps : tant de minutes pour l’accueillir, pour le perfuser, lui donner ses médicaments, tant de minutes pour le rassurer quand il vient d’apprendre qu’il va mourir !!
On en est là !!
La restructuration a donné lieu à des suppressions d’emplois. Je ne parlerai que de mon service, mais ceci se retrouve partout. Notre poste d’accueil a disparu, la direction de l’hôpital argumentant que ses tâches seraient absorbées par un accueil administratif centralisé. Avec elle, a disparu une bonne part de l’humanité du service, le relai et le repère des patients, sans compter que les tâches qui lui incombaient sont retombées directement non sur le service d’accueil magique, mais sur l’infirmière du service qui s’occupe des entrées et des sorties des patients, infirmière qui était auparavant une aide précieuse pour ses collègues, chose qu’elle ne peut plus être désormais, puisqu’elle a la double casquette d’agent d’accueil et d’infirmière transversale.
De plus, depuis avril, nous avons augmenté notre capacité en lits de 20 à 24, sans que l’effectif soignant soit modifié.
Deux patients de plus par secteur (4 de plus la nuit, puisque nous n’avons qu’une infirmière la nuit pour 24 patients ), cela peut paraitre insignifiant. Cela l’est en tous cas aux yeux de la direction. Mais c’est énorme ! Deux patients de plus à accueillir, perfuser, soigner, écouter, aider, en plus des tâches administratives qui leur incombent.
Combien de temps avec mes collègues allons nous tenir le rythme de ces cadences infernales ?
Combien de temps avant d’être complètement usés ?
Usés au point de ne plus écouter , parce qu’on a pas le temps
Usés au point de s’arrêter parce que le corps et la tête lâchent
Usés au point d’entrer en conflit avec les collègues, avec les médecins
Usés au point de ne plus avoir la force de se révolter
Usés au point de mal faire son travail, d’être malades à force d’insatisfaction, d’avoir perdu de vue ce pourquoi on fait ce métier !
Quel choix nous reste-t-il ?
Le choix de se révolter ? En avons-nous encore l’énergie ? Quand en face de nous il y a l’inertie d’un mur ?
Le choix de partir ?
Le choix d’en finir définitivement, comme certains quand la coupe est pleine et qu’on ne sait plus comment la vider ?
Je me sens comme un poisson dans un bocal trop petit, et j’ai peur du moment qui viendra où je manquerai d’air. Où est-elle passée, cette fierté de faire partie de cette famille soignante, de faire partie de l’hôpital ?
Elle a été balayée par toute cette violence institutionnelle, par cette violence aveugle et sourde qui pèse sur nous de tout son poids tous les jours.
Quel choix nous reste-t-il ?
Quel avenir pour l’hôpital ?
Le bocal à poisson ?
Merci pour cette magnifique lettre évoquant les véritables enjeux du soin à l’hôpital public ..;Je me permets de la partager su Twitter Bravo de tout coeur