Avec un objectif de dépenses « historiquement bas » pour 2016 et 2017, comme le relève le directeur de la Sécu en personne, l’hôpital est au régime sec, au point de provoquer la colère croissante des personnels, des médecins, mais aussi celle des directeurs. Une grève a lieu ce jeudi, à l’appel de la CGT, de FO et de SUD.
À quelle sauce sera mangé le système de soins français, au-delà de la grogne de l’AP-HP ? Le conflit qui oppose depuis de longues semaines Martin Hirsch et les hôpitaux parisiens est un épiphénomène, à la fois exemplaire et singulier. « Il y a, forcément, une forte politisation autour de Paris à cause de la personnalité de Martin Hirsch, de la proximité avec les décideurs, de la taille des hôpitaux dans la capitale et du nombre de patients, résume Frédéric Pierru, sociologue spécialiste des politiques de santé. Mais l’AP-HP donne néanmoins le « la » au niveau national. » Et la négociation parisienne révèle en creux le dilemme auquel font face aujourd’hui les directeurs d’hôpitaux français.
Chaque année, un objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) est défini. Charge ensuite aux hôpitaux de faire avec les moyens alloués. En 2015, la progression des dépenses de l’Ondam a été fixée à 2,1 % par la loi de finances. Déjà trop peu pour les personnels soignants. Une grève a précisément lieu ce jeudi 25 juin, à l’appel de la CGT, de FO et de SUD, pour protester contre « l’austérité » à l’hôpital, qui doit déjà composer avec 500 millions d’euros en moins.
Mais le pire est à venir. Pour les deux années à venir, l’Ondam devrait chuter à 1,75 %, ce qui suppose 2,2 milliards d’euros d’économies supplémentaires d’ici 2017. Or, spontanément, les dépenses de soin augmentent d’environ 4 % par année. La faute à la démographie, au coût des médicaments, aux progrès médicaux et techniques, etc. « À 4 %, on se maintient. À 2,5 %, c’est compliqué. Sous les 2 %, c’est impossible, assure Frédéric Pierru. Vous ne pouvez pas faire fonctionner un tel système avec ce chiffre, ça le fait forcément plonger. Quand on fait ça, on fabrique sciemment du déficit pour les hôpitaux. » Et si la Sécurité sociale emprunte à des taux généralement très bas, c’est loin d’être le cas des établissements de santé, qui commencent à trouver que la note est salée.
Selon une note que Mediapart s’est procuré, rédigée par le directeur de la Sécurité sociale et adressée début juin aux différents ministres concernés (santé, affaires sociales, finances), la Sécu tire également la sonnette d’alarme. La procédure, en soi, n’a rien d’anormale, mais le ton est donné : « Cet exercice rituel en cette période est affecté cette année par des contraintes inédites. L’objectif global, fixé à 1,75 %, est historiquement bas. » Plus loin, la note met en garde : « Ce débasage vient réduire de façon pérenne les recettes des établissements de santé, ce qui tend davantage leur situation financière et augmente le risque que les économies Ondam 2016 se traduisent par une hausse du déficit hospitalier. » Dans les ministères “ sociaux ”, on s’étonne d’ailleurs de cette orthodoxie budgétaire acharnée déployée par les socialistes… « Une gestion de curé » imposée pour répondre aux exigences bruxelloises en termes de stabilité budgétaire alors que, pendant des années, la droite ne s’est pas privée de faire largement exploser les compteurs.
Le texte ne s’arrête pas là. Des « dépassements » vont avoir lieu en 2015 (typiquement, une épidémie de grippe), qui « constitueront autant d’économies supplémentaires à trouver en 2016 ». « Il s’agit donc de durcir significativement la trajectoire », entre 2015 et 2017, « alors même que le respect de ce plan supposait déjà des efforts répétés jamais accomplis par le passé. » La perspective de ces nouvelles économies à venir fait frémir, bien au-delà des rangs de syndicats de salariés. « L’Ondam, ce n’est pas une extrapolation réelle de ce que va coûter un nombre d’actes définis, se plaint Michel Rosenblatt, secrétaire général du syndicat Syncass CFDT, qui regroupe cadres et directeurs des établissements sanitaires publics et privés. C’est un objectif à atteindre, que l’on ventile au doigt mouillé, pour tenter d’équilibrer les efforts. » L’ancien directeur des hospices civils de Lyon récuse cette « course sans fin », initiée sous Douste-Blazy, ministre de la santé en 2004 : « On fait la pirouette, en reportant sur l’année suivante les charges, en faisant du one shot et des économies de bouts de chandelle. Ce n’est pas possible de continuer ainsi. »
Ce qui fâche, c’est aussi tout ce que la ministre de la santé ne dit pas. Au début de l’année, Marisol Touraine a tenté le tour de passe-passe sémantique, en déclarant à l’AFP que les économies demandées à l’hôpital « doivent s’entendre non pas comme une réduction des dépenses mais comme une évolution maîtrisée de l’augmentation des dépenses ». Dont les instruments seraient une meilleure rationalisation des achats, de meilleurs tarifs auprès des fournisseurs, ou encore un repli des hospitalisations au profit de l’ambulatoire et de la médecine de ville. Or dans la loi santé récemment adoptée, l’objectif de renforcement d’un service territorial de santé, en dehors de l’hôpital, a fondu comme neige au soleil. Reste seulement l’incitation faite aux libéraux à s’organiser entre eux, ce qui est loin d’être suffisant pour soulager l’institution hospitalière. « Au-delà du discours politique, c’est une vraie dérégulation de la médecine de ville qui est à l’œuvre. Le dépassement d’honoraires n’a pas été réglé. La répartition géographique non plus. Les classes populaires, progressivement chassées de la médecine de ville, se retrouvent dans les permanences d’accès au soin ou aux urgences qui sont sans cesse engorgées, ajoute Frédéric Pierru. Mais pour tenir le rétrécissement progressif de l’Ondam, on a diminué drastiquement l’enveloppe Migac, censée financer ces missions d’intérêt général, qui ne sont pas soumises à la tarification à l’activité. Encore une fois, ce sont les plus fragiles qui vont trinquer. »
Un autre des leviers d’économie est évidemment l’emploi. Là aussi, la prudence est extrême. Pour le ministère, il est seulement question de « maîtrise de la masse salariale », selon un document révélé par Challenges en février. FO et la CGT ont fait leurs calculs à partir des tableaux ayant fuité : les syndicats craignent 20 à 30 000 emplois engloutis dans les trois années à venir quand, officiellement, il n’y a pas de réduction de postes. « Ce qui nous met en colère, c’est la logique de la langue de bois et que les choix ne soient pas assumés, tempête Michel Rosenblatt. Le plan triennal ne prévoit pas de suppressions d’emploi. Et factuellement c’est vrai. Mais quand on supprime l’équipe de nuit dans le cadre d’une réorganisation, on supprime de fait des emplois. On va aussi prendre plus de contractuels alors que c’est contradictoire avec les politiques de réduction de la baisse de la précarité dans la fonction publique… Et tout est à l’avenant. » Externalisation d’un nombre grandissant de tâches au privé, recours à l’intérim, aux CDD, à des internes étrangers, rappel sur repos des infirmières, les recettes sont connues. « Mais là, on touche à l’os », rappelle Frédéric Pierru.
Une autre option pour retrouver de l’air est la remise en cause des accords sur le temps de travail. Tous les établissements (à Marseille et à Lyon notamment) observent donc de près l’issue du conflit parisien, car c’est le choix qu’a fait Martin Hirsch, prenant appui sur l’accord plutôt avantageux signé à l’époque du passage aux 35 heures. Mais la mobilisation des soignants a rappelé que le régime horaire dont les hospitaliers bénéficient était la soupape nécessaire pour affronter des conditions de travail singulièrement dégradées. Le gouvernement ayant par ailleurs lâché Martin Hisrch en route, peu de directeurs se risqueront désormais à ouvrir le dossier chez eux.
La charge va donc inexorablement s’accentuer. La qualité du soin donné au patient tient encore, cahin-caha, au prix d’une détérioration des conditions de travail. Suicides en chaîne d’agents en 2012 au CHU de Lille, d’une anesthésiste à Châteauroux en 2014, les alertes se multiplient. « C’est une question plus large, celle d’un monde du travail qui rend les gens plus corvéables et davantage sous pression qu’autrefois, constate un observateur qui souhaite rester anonyme. L’hôpital est sans doute touché plus tard que les autres par ce changement et c’est forcément douloureux. »
Je me suis permis de partager cet article particulièrement précis sur Facebook et Twitter …et certainement pas de manière anonyme …
Comment peut-on demander davantage d’efforts, de sacrifices dans un hôpital public déjà « à l’os » ? Pauvres patients, malheureux soignants: la résistance à ces mesures inhumaines s’impose bien sûr …