Accusé d’avoir participé à une manifestation interdite et d’avoir tenté de lancer un panneau sur un policier, Gaëtan Demay, un étudiant toulousain, a été condamné en appel à six mois de prison dont deux ferme. Dans la préfecture de Haute-Garonne, plus de 50 Toulousains ont été condamnés en six mois suite à des manifestations.
Sa condamnation a provoqué un large mouvement de solidarité sur les réseaux sociaux, allant bien au-delà des frontières françaises. Le 1er avril 2015, Gaëtan Demay, étudiant de 24 ans en histoire de l’art et archéologie à l’université du Mirail, écopait de six mois de prison dont deux ferme et de 1 100 euros de dommages et intérêts. Interpellé le 8 novembre 2014 lors d’une manifestation de soutien à Rémi Fraisse, le jeune homme est accusé d’avoir participé à un attroupement interdit et d’avoir tenté de lancer un panneau publicitaire sur un policier.
Les faits sont graves. Le 8 novembre, quelque 500 Toulousains, dont beaucoup d’étudiants venus du Mirail, manifestent sur les allées Jean-Jaurès à Toulouse contre les « grands projets inutiles », « les violences policières » et en mémoire du jeune écologiste Rémi Fraisse, tué par une grenade offensive sur le chantier du barrage de Sivens. La veille, le préfet de Haute-Garonne a interdit le mouvement en raison des « exactions commises précédemment » et d’une déclaration faite « hors délai ». Toutes les artères adjacentes aux allées Jean-Jaurès sont bloquées par un impressionnant déploiement policier, prenant en étau les manifestants. (Voir le portfolio que nous avons publié au lendemain des faits.) Deux hélicoptères survolent la ville. Vers 18 heures, alors que le cortège se disperse lentement, Gaëtan Demay est interpellé boulevard de Strasbourg par des agents en civil de la Brigade spécialisée de terrain (BST).
Selon deux agents, il aurait tenté de forcer le cordon policier et aurait traité le fonctionnaire porte-bouclier de « fils de pute », avant de lancer dans sa direction le panneau publicitaire d’un vendeur de kebab voisin. Un lancer pitoyable, puisque le panneau, trop lourd, aurait atterri à un mètre du gardien de la paix. Ce dernier, qui n’a donc même pas été effleuré, dépose plainte pour violences volontaires. Dans sa déposition, ce policier de la BST indique qu’il était accompagné de deux collègues. Tandis que dans le procès-verbal d’interpellation rédigé par un autre policier, les flics étaient cinq à intervenir. Peu importe ces contradictions, Gaëtan Demay est embarqué pour 48 heures de garde à vue au commissariat de Toulouse. Circonstance accablante, il est porteur de deux bouteilles de bière vides, qui constituent, aux yeux des policiers, une preuve de sa volonté d’en découdre.
« Je suis militant féministe, insulter la mère des gens n’est pas mon style, proteste Gaëtan Demay. Et je ne vois pas qui serait assez stupide pour tenter de forcer tout seul un barrage de policiers avec casques et boucliers. D’après moi, les policiers devaient interpeller des gens et en ont pris un au hasard. » L’étudiant reconnaît sa participation à la manifestation interdite, mais dément tout le reste. « Vers 17 heures, l’étau s’est relâché, les manifestants ont commencé à repartir, mais les policiers ont continué leur ratissage jusqu’à 18 heures, explique Gaëtan Demay. Moi, je marchais le long du mur en écrivant un texto. Je ne faisais pas trop attention à ce qui se passait. Le cordon de CRS s’arrêtait à chaque intersection pour laisser passer la BAC (brigade anticriminalité) qui interpellait n’importe qui. Puis les policiers chargeaient. Ils m’ont dépassé deux fois et la troisième fois, je me suis pris un coup de matraque sur le mollet. Un policier en civil m’a poussé et mis des coups de matraque au sol. » L’étudiant affirme avoir boité pendant plusieurs jours et avoir eu des hématomes au dos, aux cuisses et aux avant-bras. Mais en garde à vue, le médecin qui l’a examiné ne lui aurait pas délivré d’interruption temporaire totale (ITT). La scène, plutôt confuse, est en partie visible sur cette vidéo (à partir de 5 min 4 s et jusqu’à 6 min 8 s). On voit d’abord Gaëtan Demay habillé d’un blouson en cuir, jean bleu et baskets blanches marcher avec une autre personne le long du mur tout à gauche, puis au sol au milieu de policiers, avec un foulard rouge.
Selon la police, 21 personnes ont été arrêtées lors de cette manifestation. Au commissariat central, « les cellules étaient pleines, pas de couverture, ça sentait le vomi et la merde, et une geôlière chantait « Il est libre Max » », dit Gaëtan Demay. L’un de ses compagnons de cellule est « un jeune de 17 ans qui rentrait du travail ». Une première volée de manifestants sont condamnés en comparution immédiate le 10 novembre, dont un homme qui prend quatre mois ferme. Le 4 décembre, c’est au tour de Gaëtan Demay, qui a refusé la comparution immédiate, d’écoper de deux mois avec sursis et 1 100 euros de dommages et intérêts. Manifestement rédigé à la chaîne par le parquet de Toulouse, le procès-verbal de comparution immédiate fait référence, par erreur, au Code du sport (l’article L332-11 visé concerne les interdictions judiciaires de stade !). Les faits de violences sont si peu établis qu’Hervé Barrié, le président du tribunal correctionnel de Toulouse, les requalifie en « tentative de violences volontaires », une infraction non punissable. Ce que relève immédiatement le procureur présent à l’audience.
L’étudiant fait donc appel. Mais si la copie du jugement reçue par son avocat, Me Julien Brel, mentionne bien qu’il n’a fait que « tenter » de blesser le policier, la condamnation ne fait pas état de cette requalification. Et pour cause. En consultant le dossier de son client au greffe, Me Brel s’aperçoit que la note d’audience a été blancotée pour transformer la « tentative de violences volontaires » en « violences volontaires ». Stupéfait, il saisit, le 27 janvier 2015, le président du tribunal de grande instance de Toulouse, Henri de La Rosière de Champfeu.
Après enquête, le président se fend, le 4 février 2015, d’une lettre de trois pages à Me Brel et au bâtonnier des avocats de Toulouse pour leur expliquer qu’il s’agit d’une « méprise complète entre le juge et la greffière ». Et surtout pas d’un faux. « Rien ne vient établir qu’il y aurait eu la volonté, de la part du juge, de forger un faux pour couvrir une illégalité », assure le magistrat, qui insiste dans son courrier sur « la bonne foi » du juge et de la greffière, ainsi que sur le « caractère exceptionnel voire unique » de cette « erreur ».
Que s’est-il passé ? La greffière se serait méprise sur les propos du juge, qui lui aurait recommandé, à l’issue de l’audience, de ne rien changer malgré l’illégalité de la décision. Puis, Hervé Barrié aurait tout simplement signé le jugement rédigé par sa greffière sans remarquer qu’il ne mentionnait pas la requalification. Cette « inattention constitue une négligence », écrit Henri de La Rosière. Pour finir, la greffière, « pour assurer la conformité de la note d’audience avec le jugement, a recouvert avec du correcteur blanc la mention de la note d’audience relative à la requalification, ce qui constitue une faute ». D’inattention en négligence, Hervé Barrié, qui s’était déjà illustré en septembre 2013 en accusant les Roms de « piller la France », a été privé de la présidence des audiences correctionnelles et sa greffière mutée dans un autre service. « Concernant d’éventuelles sanctions disciplinaires, cela relève désormais du président de la cour d’appel », nous a indiqué, ce 22 avril, le secrétariat général du président du tribunal de Toulouse.
Criminalisation des mouvements sociaux
Suite à cette « erreur », la cour d’appel de Toulouse n’a pu que constater la « distorsion entre le jugement prononcé à l’audience et le jugement rédigé ». Et a dû annuler, le 1er avril, la décision du tribunal correctionnel. Ce qui n’a pas empêché les juges d’alourdir la peine de prison de Gaëtan Demay, portée à six mois dont deux avec sursis. L’étudiant a été condamné pour « participation sans arme à un attroupement après sommation de se disperser » et « violences n’ayant pas entraîné d’incapacité totale de travail sur personne dépositaire de l’autorité publique ». La cour d’appel a considéré que, malgré l’absence de casier judiciaire, les faits « présentent une gravité particulière, s’agissant non seulement d’une atteinte aux personnes, mais de plus, dirigée contre des policiers ».
« Si le droit de manifester constitue une liberté fondamentale, l’adhésion aux valeurs que cette manifestation entendait exprimer (…) n’autorise pas sous ce couvert à développer une agressivité significative en profitant de la confusion consécutive à la situation du refus des manifestants de quitter les lieux et en se donnant les moyens matériels de développer sa violence, pour commettre des actes au préjudice des policiers (…) uniquement parce qu’ils constituent la représentation visible de la puissance publique », justifie-t-elle dans sa décision. Tout comme lors de la première audience, le policier « victime » n’était pas présent à l’audience.
Membre du syndicat Solidaires étudiant-e-s et du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), l’étudiant a préféré ne pas se pourvoir en cassation, « à cause des délais » et « pour ne pas faire retomber » le mouvement de soutien qui s’est constitué autour de lui. Son père, militant à Sud PTT dans la Nièvre, qui « s’est démené pour que je ne sois pas incarcéré », a été hospitalisé lasemaien dernière suite à un infarctus. « Il était à bout et n’admettait pas que je sois condamné à deux mois de prison pour rien, dit Gaëtan Demay. On ne savait pas s’il allait survivre. Heureusement il va mieux, et s’est réveillé hier. » L’étudiant, qui travaille comme vacataire à la fac et dans une boulangerie, attend toujours un rendez-vous avec le juge d’application des peines : « On m’a dit au palais de justice que ça pouvait prendre trois, voire six mois. »
Selon un décompte militant, quelque 54 Toulousains ont été condamnés depuis novembre 2014 et les premières manifestations interdites contre le barrage de Sivens. Souvent en comparution immédiate, une procédure qui « présente toujours le risque d’une plus grande sévérité, car les prévenus ont moins le temps de préparer leur défense et le tribunal dispose de moins d’éléments d’appréciation », souligne Odile Barral, déléguée régionale du Syndicat de la magistrature à la cour d’appel de Toulouse. Prenant prétexte de quelques débordements réels lors de rassemblements en soutien aux zadistes, la préfecture de Haute-Garonne s’oppose désormais presque systématiquement aux rassemblements en centre-ville. Et la nouvelle municipalité UMP n’est pas en reste. « Nous en sommes réduits à lutter pour avoir le droit de lutter, dit Gaëtan Demay. Alors que nous ne faisons qu’exercer un droit fondamental, que le gouvernement se gargarisait de représenter après l’attentat à Charlie Hebdo. Et au premier mouvement de contestation, ils mettent ces droits au pilori ! » Le 6 mars 2015, quelque 500 militants toulousains, qui protestaient devant le Capitole contre l’expulsion annoncée de plusieurs syndicats dont la CGT de leur siège historique à la Bourse du travail, ont été gazés par des policiers municipaux.
Le 7 mars, la section toulousaine de la Ligue des droits de l’homme (LDH) s’est vu interdire le centre-ville par la préfecture pour une manifestation organisée dans le cadre de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes (lire le communiqué du NPA 31). L’association s’inquiète de la « dégradation progressive » de « l’exercice des droits fondamentaux » à Toulouse avec des interdictions en pagaille, « un contrôle policier grotesque et démesuré » et leur « cantonnement à l’extérieur du cœur de la ville ». Le 21 mars, c’est une modeste marche « contre tous les racismes » et « l’islamophobie » qui provoque à nouveau un dispositif sécuritaire ahurissant : près de 600 policiers pour 300 manifestants, selon l’AFP.
Le 31 mars, Jean-Pierre Moudenc, le maire UMP de Toulouse, refuse au NPA l’usage d’une salle municipale pour la tenue d’une réunion publique dénonçant « L’Apartheid, de l’Afrique du Sud à Israël ». Dans un communiqué, l’élu argue qu’il ne peut « tolérer qu’une réunion publique prônant la discrimination à l’égard de personnes de confession juives et de produits commerciaux associés à la religion juive et à l’État d’Israël se tienne à Toulouse, dans une salle municipale ». Il invoque également des « risques de trouble à l’ordre public ». À nouveau, la LDH s’insurge de cette décision « arbitraire qui s’inscrit dans la dérive actuelle qui tend, en termes de liberté d’expression, à faire prévaloir les décisions de coercition administrative a priori sur le pouvoir de contrôle judiciaire, garant du respect des libertés des personnes ».
Emmanuel Barot, maître de conférences en philosophie à l’université du Mirail, très actif au sein du collectif de soutien à Gaëtan Dumay, note une « convergence entre la préfecture et le nouveau maire UMP pour étouffer toute contestation radicale en criminalisant les mouvements sociaux ». « Depuis novembre, les manifestations sont fliquées et quadrillées avec un déploiement policier qui témoigne d’une volonté de ne laisser la rue à personne, estime-t-il. Ce qui peut faire penser que Toulouse sert de laboratoire d’un nouveau mode de gestion de la rue. »
Le 16 avril, au Mirail, une assemblée générale réunissant étudiants et personnels a voté la création d’un collectif unitaire contre la répression. Deux rassemblements en soutien à Gaëtan ont eu lieu vendredi 17 avril devant la fontaine Saint-Michel à Paris et place Jean-Jaurès à Toulouse. Le même jour, le secrétaire national du Parti de gauche Éric Coquerel et l’ex-porte parole du NPA Olivier Besancenot ont dénoncé lors d’une conférence de presse « la répression et la criminalisation du mouvement social ». « Le cas de Gaëtan condense deux scandales en un, estime Olivier Besancenot dans un communiqué commun. D’abord une peine révoltante à elle seule, qui porte sur le seul fait d’avoir manifesté. Et ensuite tout ce que ça implique, quand on voit la loi sur le renseignement. Parce que si cette loi passe, des Gaëtan il va y en avoir partout. » Dans Libération, une cinquantaine de personnalités se sont, elles, alarmées sous le titre « Manifester en France, c’est risquer de finir en prison ».
Les militants toulousains cherchent désormais à tisser des liens avec les comités de soutien d’autres manifestants condamnés, comme cet étudiant italien arrêté le 18 mars à Francfort (Allemagne) lors de la journée d’action contre la Banque centrale européenne organisée par la coalition Blockupy. « Nous voulons reconstruire une solidarité à une nouvelle échelle entre tous ceux qui sont condamnés pour avoir manifesté leur opposition aux politiques sociales, environnementales et économiques actuelles », dit Emmanuel Barot. Malgré sa condamnation, Gaëtan Demay est déterminé à « leur montrer qu’on ne se laissera pas faire ». « Nous voulons construire autre chose et leur répression ne nous impressionne pas », lance le jeune homme.
La boîte noire :Toutes les photos (à l’exclusion de la première) utilisées dans cet article proviennent de la page Facebook « Pas de prison pour Gaëtan ». Me Julien Brel, qui ne défend plus Gaëtan Demay, n’a pas souhaité s’exprimer.