Grèce : rétablir la santé des marchés financiers en s’attaquant à celle de la population

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Été 2004. Les JO d’Athènes. Pendant 15 jours, la Grèce  est le centre du monde. Des millions de téléspectateurs  ont droit à des spectacles pharaoniques et des épreuves  sportives dans des installations flambant neuves. Les  retransmissions dégagent une impression de richesse débordante. Automne 2008 : les banques des Etats-Unis sont touchées de plein fouet par la crise financière. Le premier ministre grec, Kostas Karamanlis, assure alors que l’économie du pays est  « blindée » contre le risque de contagion. Octobre 2009 : le nouveau gouvernement socialiste relève la prévision de déficit public de la Grèce de 3·7% à 15·8% du PIB. Le pays est au bord de la faillite. C’est la panique. Pour prévenir un défaut de paiement qui entraînerait les autres pays d’Europe dans sa chute, un premier plan de « sauvetage » est adopté en mai 2010. En contrepartie d’un prêt de 110 milliards d’euros, le pays doit se soumettre à un programme de restriction budgétaire colossal, condition imposée par la Commission Européenne, le Fonds Monétaire International et la Banque Centrale Européenne, association de malfaiteurs plus connue sous le nom de Troïka. En vain : le pays s’enfonce dans la crise, la dette poursuit sa dangereuse ascension. Février 2102 : un 2ème plan de sauvetage est adopté en contrepartie de toujours plus de coupes budgétaires, toujours plus de contre-réformes.

A description…

Dans le secteur de la santé publique, l’accord exigeait la réduction des dépenses à 6% du PIB. La plupart des pays européens, dont la France et l’Allemagne, dépensent plus de 6% de leur PIB pour la santé publique. En toute conscience, la Troika a donc fixé un objectif issu de considérations purement économiques, totalement détaché des problématiques de santé publique et des moyens nécessaires pour les résoudre. Pour l’atteindre, de 2009 à 2011, le budget de l’hôpital public a été réduit de 26%. Chaque année les coupes ont été plus importantes. En 2014, le budget prévoit une nouvelle réduction de 12,5% des dépenses sociales et de 19,7% des dépenses publiques de santé. Le financement public de l’Office national des services de santé (EOPYY) est réduit de 30%,et, pour les hôpitaux, de 32%, c’est-à-dire 5 milliards en moins1. En parallèle, le gouvernement cherche à baisser le coût de fonctionnement des hôpitaux en démantelant les droits des travailleurs.

Pour justifier ces coupes drastiques, le discours officiel explique que les réformes qui les
accompagnent visent à rendre le système de santé plus « efficient » : en augmentant le rendement, en limitant le gaspillage, les restrictions budgétaires seront sans impact sur la qualité et l’accès aux soins. Mais dans les faits, les conséquences sont dramatiques. Les hôpitaux doivent faire face à un sous-effectif chronique, en deçà des seuils de sécurité, et à un manque de matériel permanent.

Manque de gants, réserve de fil chirurgical à sec, stocks de papier hygiénique épuisés… Médecins du Monde rapporte que les médecins demandent aux patients d’acheter eux-mêmes pansements, seringues et gazes parce que certains hôpitaux sont en rupture de stocks. Le système hospitalier – et au delà, tout le système de santé publique – est au bord de l’effondrement. Pourtant, le gouvernement s’obstine à nier tout lien de cause à effet entre austérité et dégradation de l’état de santé de la population grecque. Il n’y a pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir : reconnaître ce lien serait reconnaître que la classe dirigeante est en train de ramener le pays des années en arrière.

Un pays en voie de sous-développement

Les effets de l’austérité commencent seulement à se faire sentir mais ont déjà des conséquences effroyables, comme le démontre une récente étude parue dans le journal scientifique britannique The Lancet2. Au cours de la première année d’austérité, 1/3 des plans de prévention et de traitement des toxicomanes ont été abandonnés, la distribution de seringues et préservatifs a chuté respectivement de 10% et 24%. En conséquence, le taux de nouvelle infection par le VIH dans cette population a été multiplié par 30 entre 2009 et 2012. Parmi eux, le nombre de nouveaux cas de tuberculose a été multiplié au minimum par 2 entre 2012 et 2013. Par ailleurs, l’abandon de programmes de lutte contre les moustiques, conséquence de la réduction drastique des budgets municipaux, a favorisé la réapparition de cas de paludisme autochtone, du jamais vu depuis 40 ans.
Les patients n’ont plus les moyens d’avancer le coût des médicaments prescrits par le médecin ou les transports pour les consultations alors que les délais de remboursement s’allongent. Par manque de ressources, les vaccinations sont également remises à plus tard, ce qui à terme aura un impact sur la couverture vaccinale du pays, au risque d’entraîner la réémergence de maladies graves et pourtant évitables.

L’effondrement socio-économique a des répercussions sur la santé mentale de la population grecque. Les cas de dépression ont été multipliés par 2,5 entre 2008 et 2011, les tentatives de suicide ont augmenté de 36% entre 2009 et 2011 et les décès par suicide de 45% entre 2007 et 2011.
Les services de psychiatrie doivent faire face à une augmentation de leur activité de 120% au cours des 3 dernières années. Pourtant, le secteur est littéralement mis à sac par les mesures d’austérité : les fonds publics pour la santé mentale ont été amputés de 20% entre 2010 et 2011 et d’encore 55% l’année suivante. Des plans pour le développement de services psychiatriques pédiatriques ont dû être abandonnés. Les services n’ont pas eu d’autre choix que de réduire leurs programmes et leurs personnels ou carrément de mettre la clé sous la porte.

Les plus vulnérables ne sont pas épargnés, notamment les femmes enceintes et les enfants. La santé de ces derniers se dégrade notamment en raison de la diminution des revenus de la famille. En 2012, un rapport des Nations unies a déclaré qu’en Grèce « le droit à la santé et l’accès au système de santé n’est pas respecté pour tous les enfants. » Le nombre d’enfant souffrant de malnutrition augmente. Celui des bébés avec un faible poids de naissance à l’accouchement a augmenté de 19% entre 2008 et 2010, celui des bébés mort-nés de 21% entre 2008 et 2011. Pire, le taux de mortalité infantile, à la baisse depuis des dizaines d’années, a explosé de 43% entre 2008 et 2011.

Si la situation devient à ce point dramatique, ce n’est pas seulement en raison des attaques directes contre le système de santé publique : la quasi totalité des mesures d’austérité ont des conséquences plus ou moins directes sur l’état de santé de la population. Les diminutions de salaires, l’augmentation des formes flexibles de travail, la suppression des conventions collectives, l’augmentation des heures de travail et de l’âge de départ à la retraite, la libéralisation des licenciements, l’augmentation du prix de l’électricité et du mazout de chauffage, etc, etc. : toutes ces mesures s’additionnent les unes aux autres et engendrent une dégradation brutale des conditions de vie et de travail de la classe ouvrière grecque. Dans quelques années, cela se répercutera inévitablement sur l’espérance de vie moyenne du pays.

Transfert des coûts vers le patient et médecine à 2 vitesses

En 2011 le forfait à la charge des patients pour chaque consultation à l’hôpital public est passé de 3 à 5 euros. Une augmentation de 2 euros, mais le plus souvent le patient nécessite une série de consultations. A cela s’ajoute la nouvelle franchise de 1 euro par boite de médicaments, entrée en vigueur cette année, et des coûts cachés, comme le passage par des numéros payants pour prendre rendez-vous avec un médecin. En janvier, un forfait de 25 euros par hospitalisation devait être mis en place. La mobilisation de la population a permis d’annuler cette mesure au bout d’une semaine d’application. Mais il s’agit plus d’un report que d’un abandon. Il faut s’attendre à ce que tôt ou tard, le gouvernement revienne à la charge.

Voilà ce qui peut être dit en ce qui concerne les coûts officiels. Ce qui se dit moins, c’est que le système hospitalier est gangrené par la corruption : les patients savent qu’une consultation rapide ou que les interventions importantes s’obtiennent généralement en échange d’une fakelaki (« enveloppe », autrement dit quelques billets qui arrivent directement dans la poche du médecin et échapperont à l’impôt). Le service public est en fait une sorte de secteur 2 sauvage, où le dépassement d’honoraires au noir est la règle. Conscient que les médecins sont sous-payés comparé aux normes occidentales – voire non payés si on parle des heures supplémentaires – et n’ayant pas les moyens d’augmenter leurs salaires, l’Etat tolère ces pratiques qu’il condamne en parole. En additionnant les forfaits officiels et les pots-de-vin, ce qui reste à la charge du patient devient vite
insurmontable. Pour une grossesse il faudra débourser au total environ 2 500 euros, dont 600 à 1200 euros rien que pour l’accouchement. Pour une chirurgie de l’estomac, l’enveloppe devra être garnie d’une somme allant de 800 à 1 000 euros. Et plus l’intervention est risquée plus le prix grimpe : une opération cardiaque peut coûter au patient jusqu’à 8 000 euros4. Quand on sait qu’un smicard gagne
580 €3 ou qu’un retraité peut toucher 350 euros par mois, on prend la mesure de la catastrophe que peut représenter une hospitalisation. Et encore, ces derniers bénéficient d’une couverture sociale qui ,prendra en charge une grande partie des frais.

Fin 2013, Médecins du Monde (MDM) estimait que la part de la population sans couverture sociale s’élevait à 27,7% de la population. Cela s’explique en grande partie par la suspension des allocations et de la couverture sociale au bout d’un an de chômage, dans ce pays où le taux de chômage a atteint, en novembre 2013, le record de 28%, soit plus du double de la moyenne européenne (12,1%). Chez les jeunes, il atteint le chiffre incroyable de 61,4%. Les chômeurs en fin de droits viennent donc grossir régulièrement le rang des « sans couverture sociale ». Mais ils ne sont pas les seuls : on assiste également à une paupérisation de la classe moyenne. Anna Maïli, présidente de MDM Grèce, rapporte qu’ils accueillent dans leurs centres de nombreux anciens petits entrepreneurs
qui, il y a peu encore, étaient en mesure de payer les cotisations sociales leur permettant de s’assurer5. Selon les chiffres de la Confédération Nationale du Commerce grec, près de 250 000 sociétés ont ainsi mis la clé sous la porte depuis 2010 et, au delà du propriétaire lui-même, ce sont souvent tous ses ayants droit, femme et enfants, qui cessent d’être couverts par la sécurité sociale.

Selon l’hôpital, le patient sans couverture sociale devra soit payer ses soins avant d’être pris en charge, soit remplir une « déclaration d’engagement » à payer le coût des soins. S’il ne paye pas, sa dette sera transmise aux impôts par les services administratifs de l’hôpital. Les dettes de milliers de chômeurs et de non assurés sont ainsi transmises chaque année pour être prélevées par le service des impôts. Ces dettes viennent se rajouter aux nouveaux impôts qui frappent les familles grecques. Sans revenu, malade et endetté. La politique du gouvernement dans le domaine de la santé pourrait avoir pour slogan : « Vous avez la tête sous l’eau ? On vous accroche un parpaing aux chevilles ! »

Le système de santé grec est devenu un système de santé à deux vitesses, avec d’un côté ceux qui ont les moyens de payer les fakelaki ou de cotiser pour une assurance privée suffisamment élevée pour prendre intégralement en charge les frais occasionnés par une hospitalisation dans un établissement privé, et de l’autre ceux qui ne pourront se le permettre, chaque jour plus nombreux. Combiné aux attaques contre le système hospitalier, on en arrive à cette situation paradoxale où les hôpitaux sont dépassés alors que les gens font tout ce qu’ils peuvent pour ne pas y aller. Dans les principaux centres urbains, pour pallier à l’incapacité du système de santé à prendre en charge la
population, de nombreuses cliniques sociales ont vu le jour. Il s’agit de centres de soins primaires dont l’activité est assurée par des soignants pour la plupart bénévoles. Par ailleurs, le travail des ONG occupe une place de plus en plus importante dans ce domaine. Médecins du Monde, implanté depuis des années pour délivrer soins et traitements essentiellement aux immigrés sans-papiers, a dû développer sa branche nationale. Fin 2011, Nikitas Kanakis, directeur de l’antenne grecque, rapportait que si jusqu’alors seulement 6 ou 7 % des patients se rendant dans leurs centres étaient des nationaux, la proportion était passée au cours des derniers mois à 30 %. 3 ans se sont écoulés depuis cette estimation, mais cette proportion n’a pu que s’accroître.
L’austérité épargne … les marchands d’armes

Comme nous l’avons dit, la santé publique n’est pas la seule cible des mesures d’austérités : on assiste à l’effondrement de tous les budgets de l’Etat. Mais pour être exact, il faudrait ajouter tous, sauf un, qui résiste bien mieux que les autres : le budget de la défense ! Sur la période 2008-2012, la Grèce faisait partie du “top 15” des plus gros importateurs mondiaux d’armes, à égalité avec le Royaume-Uni. Le budget militaire grec est très important, rapporté au Produit Intérieur Brut du pays : près de 4 % du PIB certaines années et proche de 3% en 2013, en pleine récession et crise de la dette. A titre de comparaison, la France ou l’Allemagne ont des budgets militaires autour de 2,2
% pour la première et 1 % pour la seconde6. Rappelons que la Troika exige de la Grèce de limiter son budget de santé publique à 6% de PIB, alors que la France et l’Allemagne dépensaient dans ce domaine en 2012 respectivement 9 et 8,6% de leur PIB7. Pour comprendre la logique de la Troika, il faut garder à l’esprit qu’elle reflète les intérêts des grandes puissances européennes, l’Allemagne essentiellement et la France dans une moindre mesure. Il se trouve que la France et l’Allemagne sont parmi les plus gros exportateurs d’armes du monde, et la Grèce représente respectivement 15 et
10% de leurs exportations d’armes8. Les thérapeutes de la troïka avaient donc bel et bien un plan de sauvetage…des intérêts des marchands d’armes occidentaux : « Victime d’un effondrement socio-économique ? Optez donc pour notre nouveau remède à base de fusils d’assauts et de chars de combats et votre mal de dette s’envolera ! »

L’austérité : une fatalité ?

Austérité : un terme bien austère pour masquer la terrible réalité dont nous avons voulu donner un aperçu. La classe dirigeante nie l’évidence en refusant d’admettre tout lien avec la dégradation de l’état de santé de la population. Il n’y a là rien d’étonnant. Mais même d’un point de vue purement comptable, leur raisonnement est absurde. Constatant la réduction des dépenses consacrées aux programmes de prévention à l’échelle européenne, l’OCDE s’alarme : « Les avantages budgétaires à court terme de ces réductions seront probablement minimes au regard de leurs conséquences à long terme pour la santé publique et les dépenses9. » En réalité, il n’y a même pas besoin de regarder à
long terme pour constater que la classe dirigeante grecque et ses « conseillers » à l’étranger mènent le pays dans une impasse : ces mesures, aussi radicales soient-elles, sont loin d’avoir résolu le problème de la dette, facteur déclenchant de la crise de 2009. Cette année-là, la dette publique équivalait à 129,7% du PIB. 3 ans et 2 plans de sauvetage plus tard, elle s’élève à 177,3%. De plus, les mesures d’austérité, en diminuant le pouvoir d’achat des grecs, vont prolonger la récession en contractant toujours plus la demande intérieure et en diminuant les recettes de l’État. Pour les salariés, les chômeurs, les retraités et la jeunesse grecs, l’austérité capitaliste est la promesse d’un long cauchemar.

Quelle est donc l’alternative ? Certains proposent d’investir ou du moins stabiliser le budget de la santé publique, afin de limiter la casse. Mais pour cela, il faut de l’argent, ce qui fait cruellement défaut à l’État grec. Il y a quelques années, l’État aurait pu envisager d’emprunter massivement mais dans le contexte actuel cela lui serait tout simplement impossible. Et même en imaginant le contraire, un bon système de santé ne suffit pas pour garantir un bon état de santé à l’échelle d’un pays. Il faudrait s’attaquer au problème du chômage, de la dégradation des conditions de travail, du coût de la vie, etc. Pour faire face à l’ensemble de ces problèmes, la solution alors proposée, notamment par les réformistes de gauche, est celle de la relance par la consommation. L’idée est que l’État investisse afin de stimuler la demande intérieure et donc la reprise. C’est ce courant d’idée que l’on retrouve dans le programme de Syriza, parti de gauche dont le leader est Alexis Tsipras. Son opposition aux mesures d’austérité lui vaut un large soutien dans la population, au détriment du traditionnel PASOK, aujourd’hui totalement discrédité, comme en témoignent les résultats des dernières élections. Syriza défend de nombreuses mesures populaires, comme la renationalisation de toutes les entreprises publiques privatisées, le rétablissement des conventions collectives supprimées par l’austérité, le rétablissement du salaire minimum à 751€ ou le rehaussement des minimas sociaux. Mais de notre point de vue, de nombreuses propositions du programme actuel, bien qu’elles soient progressistes dans l’absolu, sont utopiques car justement elles ne pourraient être mises en place que dans l’absolu, en faisant abstraction du fait que la société est divisée en 2 classes aux intérêts opposés, une mesure au bénéfice de l’une se faisant au détriment de l’autre.

Le rétablissement des conventions collectives et l’augmentation du SMIC, par exemple, se heurteraient à l’opposition implacable de la classe dirigeante grecque. La proposition de rehausser les minimas sociaux va dans les faits poser la question de son financement. Comme nous l’avons dit, l’emprunt n’est plus une solution envisageable. « Il faut aller chercher l’argent où il est » entend-on alors, « il faut augmenter les cotisations patronales, il faut taxer les riches ! ». A première vue, cela peut paraître simple, presque une évidence : les riches doivent payer plus que les pauvres. Les armateurs grecs par exemple. Ils représentent la première flotte marchande de la planète avec 16% des capacités mondiales. Ils ne paient pas d’impôt sur le revenu, pas d’impôt non plus sur les bénéfices. Jusqu’en décembre 2013, ils devaient simplement s’acquitter d’une taxe forfaitaire sur le tonnage des navires battant pavillon grec, ce qui ne concerne que le quart de leur flotte. Depuis, pour tâcher de calmer le mécontentement de la population devant cette injustice criante, un impôt exceptionnel a été voté pour taxer pendant trois ans les armateurs en fonction de la taille des bâtiments. Mais il s’agit avant tout d’une mesure symbolique, qui permet au gouvernement de ne pas perdre la face et aux armateurs d’apparaître comme des gens responsables et solidaires de leur pays.

Le programme de Syriza propose une révision du système fiscal, pour le rendre plus « juste », avec notamment des négociations avec les armateurs, « pour revoir les 46 lois d’exemption de taxes qui les concernent, et réfléchir à un régime de taxation approprié. » Dans l’absolu, ce serait effectivement une bonne idée que les barons de la navigation grecque paient des impôts au moins aussi élevés que les contribuables les plus modestes. Mais une taxation « juste » des armateurs grecs sera toujours soit « juste » indécente au regard de leur richesse, ce qu’elle est actuellement, soit « juste » excessive pour que ces armateurs continuent d’être grecs, ce que propose Syriza. Le patriotisme d’un capitaliste a ses limites : il se sent grec tant que le gouvernement grec défend ses intérêts. Cela prend à peu près 24 heures pour modifier le régime fiscal d’un bateau10. Augmenter les taxes sans leur assentiment entraînerait la fuite des armateurs et, du jour au lendemain, l’État
perdrait le peu d’argent qu’ils acceptaient de céder. Il faudrait s’attendre à la même réaction dans tous les secteurs de l’économie. Fuite des capitaux, lock-out patronal, sabotage économique : la relance par la consommation conduirait au marasme économique organisé par la classe dirigeante jusqu’à la démoralisation de la population et la chute du gouvernement.

Les dirigeants actuels de Syriza et leurs partisans à l’étranger commettent l’erreur de limiter leurs attaques au mode de répartition des richesses, sans aller au fond du problème : la répartition des richesses découle du mode de production de ces richesses. Si l’on veut un meilleur partage des richesses, il faut donc en finir avec un système économique qui entretient les inégalités. Or ce que propose Alexis Tsipras s’il arrivait au pouvoir, hypothèse pas si invraisemblable que ça, c’est de s’emparer du pouvoir politique tout en laissant le pouvoir économique entre les mains des capitalistes. Il s’agit de la meilleure recette pour être condamné à l’impuissance. Une telle situation ne serait pas viable indéfiniment. Un gouvernement de gauche radicale n’aurait alors que deux alternatives: soit capituler et se mettre aux ordres de la classe dirigeante jusqu’à ce qu’elle puisse se
débarrasser de lui, soit, sous la pression de la population et avec la population, il s’empare du pouvoir économique, ce qui passe par l’expropriation de la classe dirigeante – pour se débarrasser d’elle. En définitive, seule la classe ouvrière serait capable de mettre en place un véritable plan de relance. Une fois les secteurs clés de l’économie sous son contrôle, elle serait en mesure de planifier la production pour répondre aux besoins de tous, de revenir sur le démantèlement des services publics, de mettre l’économie au service du bien être de la population – et par ce biais d’améliorer à nouveau le niveau de santé global du pays. Entre l’utopie et le cauchemar, il y a donc bien une alternative : la révolution socialiste.

Boris CAMPOS

Décembre 2014

1 http://www.solidaire.org/index.phpid=1340&L=1&tx_ttnews[tt_news]=38194&cHash=f76d840b99f98f2428584007968e7129

2 doi:10.1016/S0140-6736(13)62291-6 A description…
http://www.enetenglish.gr/resources/article-files/piis0140673613622916.pdf

3 http://www.huffingtonpost.fr/2014/07/27/grece-salaire-moyen-817-euros-2013_n_5624440.html

4 Amélie Poinssot, « Grèce. Un système de santé en crise », P@ges Europe, 16 janvier 2012 – La Documentation française © DILA

5 http://www.lemonde.fr/europe/article/2014/04/22/un-nombre-croissant-de-grecs-exclus-du-
systeme-de-sante_4405192_3214.html

6 http://www.tv5.org/cms/chaine-francophone/info/Les-dossiers-de-la-redaction/Crise-euro-2013/p-
25616-Quelle-menace-militaire-pese-donc-sur-la-Grece-.htm

7 http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SH.XPD.PUBL.ZS

8http://www.letemps.ch/Page/Uuid/71bea476-f2d4-11e1-bd50-f1b2d4fdf578|

ou http://www.webster.ch/sites/www.webster.ch/files/LeTemps-20120831.pdf

9 http://www.oecd.org/fr/presse/fort-ralentissement-des-depenses-de-sante-en-raison-des-coupes-budgetaires-sur-fond-de-crise.htm

10 http://www.rfi.fr/emission/20140603-armateurs-grecs-insubmersibles-commerce-mondial/

9 années ago

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