Le 16 mars dernier, Simona, une anesthésiste de l’hôpital de Châteauroux, mettait fin à ses jours dans sa chambre de garde. La praticienne, originaire de Roumanie, 37 ans et mère d’un petit garçon, sortait d’une semaine de travail de 78 heures. Le drame avait secoué la communauté hospitalière et mettait une nouvelle fois en évidence la souffrance des soignants.
Six mois plus tard, un rapport de l’inspection du travail, que Marianne s’est procuré, se montre très sévère à l’encontre du centre hospitalier de Châteauroux. « Nous estimons que le non-respect par l’employeur de ses obligations a pu jouer un rôle dans la souffrance mentale ressentie par [Simona] et donc son suicide. De plus, même dans l’hypothèse (peu probable compte tenu des circonstances) où les conditions de travail de [Simona] n’auraient pas présidé à son geste, il est certain que son état de fatigue physique et mentale a contribué à abolir ou amoindrir ses capacités de discernement et, ainsi, priver [Simona] de sa capacité à sortir de l’impasse », peut-on y lire. Suite à cette enquête, un rapport au procureur de la République local devait être transmis.
Mais la direction de l’hôpital conteste avec vigueur les écrits de l’inspection du travail qui mettent « gravement en cause la réputation et l’honneur de l’établissement ». Elle estime que « les griefs présentés dans ce rapport ne sont pas fondés et sont sans lien avec le suicide de [Simona] qui était parfaitement intégrée au sein de l’établissement ». Il faut dire que l’inspection du travail ne mâche pas ses mots concernant les conditions de travail difficiles des personnels d’anesthésie et le manque d’écoute et de prévention de dont ferait preuve l’administration. La réorganisation, en novembre 2013, du bloc opératoire, est particulièrement pointée du doigt. Pour permettre un plus grand nombre d’interventions, l’hôpital a allongé les amplitudes horaire du bloc et, par conséquent, les journées de travail des anesthésistes.
Les syndicats, Force ouvrière et la CGT, les soignants s’étaient d’ailleurs émus de ce changement imposé et avaient alerté quant aux risques engendrés. « Le déficit en médecins anesthésistes ne permet pas d’appliquer des journées de 10 heures au bloc opératoire », écrivait aussi le chef du service d’anesthésie dans un courrier à la direction des ressources humaines. En vain. « Malgré sa connaissance de la situation, la direction a tout de même souhaité mettre en place cette nouvelle organisation, qui avait pour effet de compromettre la santé et la sécurité de ses agents et praticiens contractuels, cela afin de développer l’activité chirurgicale », note l’inspection du travail. « Nous n’avons jamais été écouté », indique Pascal Brion, le secrétaire du syndicat FO dans l’établissement. « La direction n’est pas dans une démarche de prévention », poursuit le syndicaliste qui avoue avoir du mal à tourner la page de ce drame. « Je ne peux pas m’empêcher de me dire : “Et si les alertes avaient été entendues ? Et si les choses avaient été faites ? Peut-être Simona serait encore là…” », confie Pascal Brion.
« L’hôpital-entreprise » en question
Derrière les écrits de l’inspection du travail, ce sont aussi les dérives de « l’hôpital-entreprise », né sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, qui transparaissent. La mise en place de la tarification à l’activité (T2A), en 2008, a introduit au sein des hôpitaux publics une recherche de la rentabilité qui essore littéralement les soignants. La logique est pour le moins pernicieuse : avec cette réforme, plus les établissements réalisent d’actes médicaux, plus ils sont payés. A en croire l’inspection du travail, l’hôpital de Châteauroux n’échappe pas à cette équation. Et de s’inquiéter de la sécurité des hospitaliers et des patients : les personnels, en sous-effectifs, sont fatigués, et les opérations programmées (aussi bien celles de l’hôpital public que celles des médecins qui exercent en privé) ne laissent pas toujours place aux aléas que sont les urgences… Le directeur de l’hôpital de Châteauroux, lui, réfute néanmoins l’idée d’une course aux actes. Il estime que l’augmentation de l’activité au bloc est la conséquence des fermetures de structures de soins aux alentours et fait valoir le principe de continuité du service public.
Il n’en reste pas moins que la profession d’anesthésiste est l’une des plus impactée par la pénurie médicale. Nombre de praticiens enchaînent des semaines à rallonge. « Quand vous êtes en sous-effectif, les semaines de 50 ou 70 heures, c’est toutes les semaines », explique Yves Rébufat, le président du Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes réanimateurs (SNPHAR). Régulièrement, la structure tire la sonnette d’alarme sur les conditions d’exercice des anesthésistes. « Une vraie réflexion doit être menée sur les risques psycho-sociaux liés aux temps de travail aberrants rencontrés par nos collègues », plaidait au mois de juillet le syndicat dans un communiqué de presse.
A Châteauroux, après le suicide de Simona, la direction a mis en place différentes mesures destinées à prévenir les risques et améliorer les conditions de travail. Les anesthésistes ont prévu, pour leur part, de reprendre leur ancienne organisation. De toute façon, « rien n’a changé depuis le suicide de notre collègue », déplore Christophe Kaladji, le chef du service d’anesthésie. Le sous-effectif est toujours patent, et les renforts d’intérimaires n’améliorent pas grand-chose. « Nous sommes six. Il faudrait être douze ».