En ce début de la coupe du monde de football au Brésil, des heurts ont opposé des manifestants aux forces de l’ordre. Ces accrochages se sont produits à São Paulo, non loin du stade où avait lieu la cérémonie d’ouverture ainsi que le premier match entre le Brésil et la Croatie. La police a fait usage de gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants. Une journaliste présente sur place a été blessée. Plusieurs militants ont également été interpellés.
La grève des travailleurs du métro a défrayé la chronique en menaçant de paralyser la ville pour la cérémonie d’ouverture, l’assemblée générale a décidé de ne pas reprendre le 12 juin, mais n’exclu pas de poursuivre avant le 13 juillet.
Une petite victoire est passée inaperçue dans les média, la FIFA a été obligée de rémunérer les 13.000 volontaires de la coupe. Cette décision fera sûrement jurisprudence pour les autres coupes du monde. En prime, les volontaires se partageront 6,6 millions d’euros pour préjudice moral.
L’Etat brésilien généralise la militarisation du pays. Les « Unités de Police Pacificatrice » aux méthodes paramilitaires terrorisent la population des favelas. Le gouvernement soutient une « loi anti-terrorisme » qui, aux yeux d’Amnesty International, « met à mal la liberté d’expression et le droit de réunion ». Il veut légaliser l’arrestation des syndicalistes et des animateurs-trices des mouvements sociaux qui résistent ; l’interdiction même des grèves est envisagée… 170 000 agents de sécurité mobilisés dont 57 000 militaires
Amnesty International dénonce aussi « l’utilisation excessive de la force par la police lors des manifestations, l’occupation de favelas par des forces militaires et de police, un mépris total envers les droits humains lors des expulsions opérées pour les chantiers de la Coupe du monde et des J.O. ».
Pour défendre les intérêts économiques de tous les investisseurs privés qui ont misé gros sur la Coupe du monde, le gouvernement brésilien bafoue les libertés fondamentales, syndicales et politiques. Triste manière de rappeler les 50 ans de l’instauration de la dictature militaire (1964/1985) au Brésil !
Voici un rappel du contexte :
Brésil : Sorry Seleção !
Le 12 juin, contre la Croatie, l’équipe de foot du Brésil ouvrira à São Paulo une Coupe du monde à 10 milliards d’euros marquée par de nombreuses polémiques. L’un des tournois sportifs les plus suivis du monde est en train de se faire dans la douleur, au rythme de controverses successives et surtout dans le contexte d’un réveil politique de la jeunesse brésilienne contre les conséquences des mégas évènements prévus au Brésil (Coupe et J.O.)
Un réveil inattendu
En juin 2013, des millions de brésiliens sont descendus dans la rue à l’appel du mouvement “Passe livre” (liberté de circulation) contre l’augmentation de 20 centavos du prix du bus et pour les transports gratuits. Ce réveil spontané a surpris les puissants mouvements sociaux brésiliens qui perdaient de plus en plus d’influence du fait de l’illusion de croissance économique redistributive que partageaient jusque-là les brésiliens .
Il y a quelques mois, les professeurs de l’État de Rio ont mené une lutte très dure et victorieuse malgré une répression très violente. Autre énorme surprise au Brésil, la Coupe des confédérations a été fortement perturbée par les manifestants, le pays du foot serait-il en train de basculer ? A l’approche de la coupe du monde les observateurs s’affolent : selon un sondage publié début avril, seulement 48 % des Brésiliens seraient favorables à la tenue du Mondial dans leur pays, contre près de 80 % en 2008, lorsque le Brésil venait d’être désigné par la FIFA.
Au cœur du problème réside le sentiment que le gouvernement brésilien a privilégié la construction de stades et la rénovation d’aéroports au détriment des programmes sociaux (éducation, santé, transports, etc) . À elle seule, la facture des stades s’élèverait à huit milliards de réaux brésiliens (près de 2.6 milliards d’euros), soit des dépenses quatre fois supérieures à ce qu’on avait estimé en 2007. « Nous souhaiterions voir les mêmes investissements dans les hôpitaux, les écoles ou le logement que dans les stades », explique dans O Globo un membre du mouvement Não Vai Ter Copa (il n’y aura pas de Coupe), installé à Rio de Janeiro, qui critique les méthodes du gouvernement fédéral et de la FIFA.
Autour de la “Copa”, de graves bouleversements
Renato Cinco, conseiller municipal d’opposition, membre du parti du Socialisme et des Libertés à Rio a déclaré dans le journal O Globo : « La coupe du monde et les jeux olympiques ont été utilisés pour favoriser les entreprises qui travaillent dans la construction des stades (…) Il s’agit d’argent public, de l’argent du peuple brésilien qui est dépensé pour un évènement qui va seulement profiter à certains groupes d’entrepreneurs« . Le déplacement de familles pauvres a été extrêmement durement vécu par la population, 170.000 personnes sont concernées, certaines familles ont été déplacées à plus de 50 kms de leur travail. Des incendies suspects dans les favelas ont eu lieu exactement à l’endroit où des projets de “super hôtel” étaient prévus. Aussi, le processus de “pacification” des favelas est devenu à certains endroits un processus d’extermination pure et simple des dealers avec son lot de bavure et notamment la mort du danseur et DJ de la favela Pavao-Pavaozinho, Douglas Rafael da Silva, meurtre policier qui a embrasé la favela en avril dernier. A ceci s’ajoute le prix de l’immobilier qui explose ! La situation est plus que tendue.
Les accidents mortels sur les chantiers de construction ont alimenté l’indignation populaire. Le 8 mai 2014, le Brésil a enregistré sa huitième victime sur les chantiers du Mondial, lorsqu’un technicien de 32 ans est mort électrocuté alors qu’il travaillait à l’installation d’un réseau de télécommunications à l’aréna Pantanal, à Cuiabá, capitale de l’État du Mato Grosso. L’aréna Corinthians, à São Paulo, a été le théâtre de deux accidents majeurs, qui ont coûté la vie à trois ouvriers.
D’innombrables mobilisations naissantes et à venir
À quatre kilomètres de l’aréna Corinthians, où s’ouvrira la compétition, le Mouvement des sans-terre (MST) avec le mouvement des sans toit viennent d’installer un camp regroupant plus de 2 500 familles sur un terrain abandonné. Surnommé «la Coupe du monde du peuple», le campement a pour objectif de «démontrer que les investissements de la Coupe du monde ne répondent pas aux demandes de ceux qui sont le plus dans le besoin». À quelques semaines du Mondial, le ton est donné.
A l’approche du jour de l’ouverture les mobilisations populaires explosent. Les grèves éclatent comme le pop-corn que va ingurgiter la planète entière. La semaine dernière plusieurs manifestations se sont croisées, celles des conducteurs de bus, des profs de l’université, des conducteurs de métro en même temps qu’une nouvelle marche contre le Mondial.
“Je sens que nous sommes dans un moment crucial pour porter notre plateforme de revendication dans tous les espaces possibles. Quand va commencer la Coupe, les négociations risquent de stopper” explique Jussara Basso, coordinatrice du mouvement des sans toit.
Elle poursuit : “il n’est pas sûr que nous vivions une répétition du formidable mouvement de mobilisation de juin 2013 mais les brésiliens ont acquis un niveau de conscience supérieur et les luttes pour les droits fondamentaux fleurissent partout alors que nous n’y croyions plus”
Tout porte à croire que les protestations vont continuer car beaucoup de travailleurs n’ont plus peur. La liste est innombrable des secteurs en lutte et le paysage politique va considérablement changer au Brésil à quelques mois des futures élections présidentielles.
Enjeux
Un représentant des indignés grecs au Forum Social Thématique de Porto Alegre 2012 disait : «Attention à vous, le coup d’envoi de la crise économique grecque a bel et bien été l’endettement pour financement des J.O d’Athènes en 2004» Les brésiliens ont aujourd’hui bien conscience des problématiques à venir : Que vont devenir les milliers d’ouvriers du bâtiment après la Copa et les J.O. ? Quelle sera l’ampleur de la dette ? Que va-t-on faire ensuite des stades et méga installations et hôtels ? Quelles seront les priorités de l’État Brésilien ?
Après le réveil de type « indignados » de 2013, la mutation en mouvements sociaux plus « classique » a été rapide et peut peser durablement sur le rapport de force. Les mouvements sociaux ont su « recoller » au mouvement indigné et proposer des formes d’actions efficaces notamment contre la répression.
Enfin, le niveau de conscience s’étant considérablement élever au Brésil avec un fort niveau d’analyse des discours officiels, notamment, concernant les chiffrages des projets, les mouvements sociaux pensent que le vote de la Présidentielle (obligatoire au Brésil) se fera avec plus de discernement que précédemment.
Pour finir en chanson, voici le refrain du dernier tube brésilien : Je jure que je ne vais pas vous supporter, Sorry Seleção ! Je suis brésilienne, je veux un nouveau Brésil… Sorry Seleção !
Julien Terrié – Syndicaliste. Auteur du documentaire « Comuna » sur une occupation urbaine liée aux expulsions dues aux grands travaux a Fortaleza. http://vimeo.com/m/21040885