Entretien
En cinq ans, entre 2006 et 2011, les hospitalisations sous contrainte ont augmenté de presque 50 %. Intervenant lors des assises citoyennes pour une hospitalité en psychiatrie (organisé par le Collectif des 39), le député Denys Robiliard (PS), rapporteur de la mission d’information sur la santé mentale et l’avenir de la psychiatrie, a détaillé les chiffres : « On est passé pour les hospitalisations à la demande d’un tiers (HDT) de quelque 43 000 en 2006 à quelque 63 000 en 2011. Et pour les hospitalisations d’office (HO, demandées essentiellement par les préfets) de 10 000 à 14 000. » Entretien avec un député qui, après la vision exclusivement sécuritaire du soin psychique déployée par Nicolas Sarkozy, défend « l’aspect soignant de la relation humaine ».
Comment expliquez-vous cette forte progression des soins sous contrainte imposés à des personnes hospitalisées en hôpital psychiatrique ?
Denys Robiliard. Ces chiffres ont été donnés à la mission parlementaire par Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté. Ils sont impressionnants. J’aimerais en connaître précisément les raisons, et pour l’instant j’y vois quatre explications : La protection de la responsabilité des psychiatres : dans le doute face à l’état d’un patient, certains psychiatres préfèrent se couvrir, et plutôt que de le laisser consentir à des soins dans un système ouvert au risque de le voir disparaître – même un court instant – préfèrent la contrainte. Autrement dit, ils s’abstiennent ou demandent à sa famille de transformer l’hospitalisation normale en hospitalisation à la demande d’un tiers. L’usage de la contrainte pour avoir accès à un lit : il y a eu toute un politique de réduction des lits en psychiatrie. Ceci, à l’origine, pour soigner les patients au plus près de leurs lieux de vie avec le développement des structures extérieures à l’hôpital mais rattachées à lui (les CMP, et tout le dispositif du secteur psychiatrique). Ceci aussi pour faire baisser les frais hospitaliers. Mais aujourd’hui, on peut se poser des questions : d’abord, cela ne s’est pas vraiment traduit par une baisse en terme de budgets… Ensuite, la contrainte n’est-elle pas le moyen, pour un préfet, un médecin, d’obliger l’hôpital à accueillir des patients ? Si tous les lits sont occupés, et puisqu’on n’est pas dans une prison où plusieurs personnes peuvent se retrouver dans une même chambre, n’y a-t-il que la contrainte pour libérer des lits ? On sort alors un patient pour en accueillir un autre, au risque que ça aille trop vite. Mais une sortie trop rapide peut se transformer en une ré-hospitalisation pour un patient mal soigné. La statistique comptera alors deux hospitalisations, mais dans les faits, il s’agit d’une seule et même personne. Les statistiques ne nous donnent que des chiffres bruts et ne permettent pas de distinguer les cas. Il faudrait affiner. La pression sociale : de plus en plus de gens se retrouvent aujourd’hui dans des situations de détresse, y compris financières. Cela doit quand même jouer sur la santé mentale… Le défaut des familles : je n’aime pas ce terme et je ne voudrais surtout pas qu’il stigmatise des parents ou des proches. Mais il y a des gens épuisés par la vie au quotidien avec leur proche malade, qui ne peuvent plus gérer… Il y a aussi des psychotiques qui ont toujours vécu avec leurs parents et ces derniers meurent. Ces malades se retrouvent alors complètement seuls et arrivent à l’hôpital contre leur gré. Ces chiffres en tout cas sont antérieurs à la loi de juillet 2011, réformant l’HO et l’HDT avec notamment l’intervention du juge des libertés au-delà de 15 jours d’hospitalisation sous contrainte. Qu’est-ce que cette loi a changé ? Il est trop tôt pour en apprécier les effets. Je n’ai pas encore les statistiques de 2012 qui sera la première année pleine d’application. Ce qui est mesurable, c’est le nombre de saisines au juge des libertés : 62 823 depuis l’entrée en vigueur de la loi. Mais là encore, il y avait des situations antérieures sur lesquelles il fallait statuer. Ce que je peux constater simplement, c’est que le nombre de reformations est très bas. Très peu de jugements ont effacé une décision de soins sous contrainte.
Notre mission ne propose pas de revenir sur l’intervention du juge. C’est de toute façon une solution majoritaire en Europe, imposée, il faut s’en souvenir, dans le cadre de la loi de 2011 par le conseil constitutionnel et la cour européenne des droits de l’homme. Mais la loi de 2011 est mal faite. Aujourd’hui, le juge des libertés a 15 jours pour statuer. Ce n’est pas long pour la justice, mais pour certains patients c’est interminable. Les psychiatres nous disent qu’au bout de 72 heures, soit trois jours, ils peuvent, eux, se prononcer sur la nécessité de garder un patient en soins contraints ou pas. Donc, le pré-rapport que nous avons rendu public le 29 mai 2013 propose de ramener le délai des juges de 15 à 5 jours.
Ensuite, où doit se dérouler l’audience qui amènera le juge à se prononcer ? La loi de 2011 est floue et dans les faits, l’audience se passe dans un tiers des cas à l’hôpital et pour les deux autres tiers au palais de justice. Au palais de justice, le malade est mêlé à des détenus encadrés par des gendarmes ou des mis en examen, et l’audience est publique. La publicité de l’audience est un principe fondamental de la justice, prononcée au nom du peuple français. Mais pour des personnes hospitalisées sous contrainte, cette publicité peut aussi porter atteinte au secret médical. Nous n’y sommes donc pas favorables. Et nous demandons que l’audience se fasse à l’hôpital, dans une salle adéquate et à huis clos, sauf demande contraire du patient. Enfin, que la visioconférence, solution de facilité pour que ni le juge, ni le malade, ne se déplace, ne soit plus possible.
De même pour le droit à l’avocat. Aujourd’hui, le patient peut y renoncer. Mais comment peut-on à la fois dire qu’une personne ne peut pas consentir à ses soins et qu’elle a assez de discernement pour renoncer à être défendue par un avocat ? La présence de l’avocat sera donc requise, même si je suis conscient qu’il faut alors revoir la rémunération des avocats commis d’office.
Cette loi n’avait pas qu’un volet judiciaire. La volonté d’enfermer les patients dits “dangereux” était annoncée dès 2008 par le discours fait à l’hôpital d’Antony par Nicolas Sarkozy suivi de circulaires, de budgets alloués aux chambres d’isolement, de sorties d’essai soumises à l’accord des préfets… La loi a eu des effets, et il est vrai que des préfets se sont opposés à des sorties d’essai alors que des psychiatres – qui ne sont pas irresponsables – estimaient que c’était une bonne chose pour permettre au malade et au soignant d’apprécier l’évolution d’une situation. La sortie d’essai permet de voir, sur une courte période, si l’analyse du médecin est exacte. Personnellement, j’y suis très attaché et la mission demande à revenir sur cette possibilité sous la responsabilité du psychiatre et non plus du préfet.
La loi de 2011 dans sa dimension sécuritaire partait d’une analyse erronée. Ce qui caractérise aussi les malades mentaux, c’est qu’ils sont d’abord vulnérables et davantage victimes que les autres. L’Inserm a démontré qu’il était impossible d’établir un lien de causalité entre maladie mentale et dangerosité criminologique ou infractions. Et ce dont je suis certain, c’est qu’un malade soigné n’est pas plus dangereux que quiconque.
Enfin, la loi a surtout permis de développer les contraintes de toutes sortes : on a vu ainsi se multiplier les salles de contention, les chambres d’isolement. Et maintenant, les hôpitaux psychiatriques sont fermés pour tous, que l’on soit hospitalisé sous contrainte ou non. Ce qui pose un réel problème éthique face à des personnes hospitalisées à leur demande qui ne peuvent aller et venir simplement, au motif qu’une personne est interdite de sortie.
Ceci n’est-il pas dû aussi à la faiblesse des effectifs soignants ? Pas seulement. Quand vous légiférez sur une pratique, vous la légitimez. Mais il est vrai que la loi de 2011 ne s’est pas arrêtée sur les effectifs. Ma conviction, c’est que la relation humaine soigne et qu’en psychiatrie, il faut du personnel. L’exemple, on l’a avec les UMD (Unité pour malades difficiles, voir la série d’enquêtes de Carine Fouteau, “La tête dans les murs”). Les UMD, c’est un service psychiatrique avec un dispositif sécuritaire, c’est un encadrement à peu près 3 fois supérieur à celui d’un service de psychiatrie générale. Et ça marche : les personnes hospitalisées dans ces unités peuvent réintégrer leur hôpital de secteur après une période de 125 à 245 jours de soins. Ils sont dits “particulièrement difficiles”, reçoivent les mêmes médicaments… mais le fait qu’il y ait plus de personnel, plus de relation, ça marche. Ce qu’il faut travailler, c’est l’aspect soignant par la relation humaine. C’est pourquoi la mission propose, après que le Conseil constitutionnel a supprimé, en avril dernier, les conditions particulières prévues par la loi de 2011 aux patients accueillis en UMD ou reconnus pénalement irresponsables (lire la décision ici), de ne pas réserver à ces patients un statut à part mais de leur permettre de pouvoir réintégrer le droit commun.
On est assez loin de la vision sécuritaire de la dernière législature… Comment expliquez-vous que votre pré-rapport ait été adopté à l’unanimité ? Parce que je fais attention à ne pas rallumer l’incendie. Je ne voudrais pas que la loi soit instrumentalisée, que l’on tombe dans le schéma droite = sécuritaire / gauche = laxisme. Et puis, il y a aussi une dimension de santé publique qu’il faut traiter : les malades graves, les psychotiques, ont une espérance de vie de vingt ans inférieure à la moyenne. En raison des suicides certes, mais aussi pour des causes somatiques : du fait de leur état, ces personnes ne se font pas soigner pour des problèmes cardiaques ou autres… et même à l’hôpital, il n’y a pas de soins somatiques prévus pour eux. À l’hôpital psychiatrique du Vinatier, à côté de Lyon, qui enregistre 5 000 admissions par an, un service de soins somatiques particulier a été développé. Il faut réfléchir aussi dans ce sens.
Et puis, ma mission intéresse beaucoup les maires de tous bords, qui sont en première ligne sur ces questions. La publicité de ce pré-rapport et de ses 17 recommandations est faite pour qu’une discussion puisse s’engager avant la remise du rapport final à la rentrée prochaine.
Et après ? Une nouvelle loi ? Le Conseil constitutionnel nous a donné jusqu’au 1er octobre 2013 pour reformuler la loi, sinon, elle s’appliquera sans les spécificités prévues pour les UMD et les personnes jugées irresponsables pénalement. Moi, je suis prêt, j’ai déjà rédigé une proposition de loi. Ensuite, ça concerne aussi les ministères de l’intérieur, de la justice, de la santé… Techniquement, on n’est pas obligé de légiférer. Il y a eu déjà une vingtaine de rapports sans suite. Mais si c’est le sort fait à celui-là, il faudra regarder vraiment pourquoi ça bloque !