Source : L’Humanité
Les travailleurs chiliens ont organisé deux jours de grève pour réclamer plus de justice sociale et une nouvelle Constitution. Ils se joignent aux étudiants, mobilisés depuis plus de trois mois pour la qualité des services publics.
Santiago du Chili, correspondance. Le pays vient de vivre deux jours de grève générale, à l’appel du premier syndicat des travailleurs. Une mobilisation soutenue par des fonctionnaires, les communistes, l’opposition de centre gauche et les étudiants.
Certains analystes parlent d’un « printemps chilien », voire d’un « Mai 68 chilien ». L’effervescence sociale qui secoue actuellement le Chili est en tout cas le mouvement de protestation le plus fort depuis la fin de la dictature, il y a vingt et un ans.
Mercredi et jeudi, un nouvel épisode de cette contestation, qui fait chuter la popularité du président Sebastian Pinera, a eu lieu. À l’appel de la Centrale unitaire des travailleurs, CUT – premier syndicat de travailleurs du pays –, la grève générale a été décrétée pour deux jours. Une mobilisation soutenue par l’Anef, syndicat de fonctionnaires, par l’opposition de centre gauche et par les étudiants, qui se mobilisent depuis plus de trois mois pour réclamer une éducation publique, gratuite et de qualité pour tous.
Dès mardi soir, étudiants, professeurs et travailleurs se sont donc réunis sur les places pour des «caceroleos» (concerts de casseroles), un mode de contestation qui avait cours sous la dictature (1973-1989). Mercredi matin, des barrages ont été montés sur de grandes avenues du pays pour bloquer le transit des voitures, mais ils ont vite été dispersés par les forces de l’ordre. Des réunions spontanées et des manifestations ont aussi été organisées dans plusieurs villes du pays. Selon un bilan provisoire, jeudi matin, les différentes activités n’auraient provoqué que peu d’incidents, contrairement aux mobilisations du début du mois que la police avait sévèrement réprimées.
D’après le gouvernement, qui s’en est félicité, la grève n’aurait pas réussi à paralyser le pays, mercredi. Seuls 14,3% des fonctionnaires auraient manqué à leur travail ce jour-là, ont estimé les autorités. Les syndicats, eux, contestent et parlent de «succès» en avançant le chiffre de 80% de travailleurs ayant cessé le travail, selon le quotidien La Hora. «Le centre de la ville est presque vide», se réjouissait le président de la CUT, Arturo Matinez.
pour une redistribution des fruits de la croissance
Les manifestants étaient par ailleurs attendus nombreux pour la principale manifestation qui aura lieu jeudi dans les rues de Santiago, la capitale, et d’autres villes chiliennes. «Avec leurs mobilisations, les étudiants ont secoué le pays», explique Paula Quintana, professeure d’université et ex-ministre du gouvernement Bachelet, au milieu d’un concert métallique de casseroles. «Ils nous ont démontré que beaucoup de choses peuvent changer. En matière d’éducation, mais pas seulement, ils questionnent aussi le modèle néolibéral.»
Les revendications de cette grève de deux jours vont dans ce sens: une nouvelle Constitution pour remplacer celle de 1980, établie sous Pinochet, une réforme du système de retraite, largement privatisé et inégalitaire, des changements dans le Code du travail pour protéger davantage les travailleurs, mais aussi une réforme fiscale pour assurer un effort plus important en matière d’éducation et de santé publiques. Bref, une redistribution plus équitable des fruits de la croissance florissante du pays. «Aujourd’hui, au Chili, seuls les riches peuvent faire valoir leurs droits fondamentaux comme l’éducation, la santé ou le logement. Si tu es pauvre, c’est tant pis pour toi !» s’exclame Anibal, étudiant à Valparaiso. «C’est ça que l’on veut changer.»
Lucile Gimberg