Source : mediapart.fr
«Un jeu de dupe», «un choix pipé dès le départ», «un chantage à la retraite», «une grosse blague»… Le milieu hospitalier et les organisations syndicales ne manquent pas d’imagination pour qualifier le droit d’option individuel accordé en octobre dernier par le ministère de la santé aux quelque 200.000 infirmiers de la fonction publique hospitalière (FHP). Dans le cadre de la réforme LMD (Licence-Master-Doctorat), ces derniers avaient jusqu’au 31 mars 2011 pour choisir entre deux options : être reclassés en catégorie A, en bénéficiant d’une revalorisation salariale et en perdant leur droit de départ à la retraite dès l’âge de 55 ans, ou rester en catégorie B, en conservant ce droit, accordé au titre de la pénibilité. Ce choix cornélien ne concernait que les agents FHP en poste car le reclassement en catégorie A sera appliqué de façon automatique pour les étudiants qui ont démarré leur formation en 2009.
En proposant ce changement de statut, le gouvernement a concrétisé une promesse de campagne de Nicolas Sarkozy qui entendait revaloriser la profession. «Les premières revendications de la reconnaissance bac +3 datent de 1979, lorsque les études d’infirmiers sont passées en trois ans», explique Thierry Amouroux, secrétaire général du syndicat SNPI CFE-CGC. «Les salaires des agents n’avaient pas été revalorisés depuis le mouvement de 1988, mais les mesures qui ont été prises sont loin d’être satisfaisantes et n’ont pas convaincu les principaux intéressés.» Le SNPI CFE-CGC en veut pour preuve les résultats collectés par ses équipes dans près de 80 établissements (CHU et CH) : selon les premiers retours, seul un tiers des infirmiers ont choisi d’être reclassés en catégorie A, tandis qu’un autre tiers a préféré rester en catégorie B. Dans un communiqué publié le 17 avril, le syndicat précise : «Une infirmière sur trois n’a même pas jugé utile de faire son choix dans ce jeu de dupes, et donc restera par défaut en catégorie B.»
«La majorité des infirmiers de plus de 50 ans ont choisi de conserver leur statut, car ce qu’ils auraient gagné en salaire» n’aurait pas été intégralement répercuté sur leur retraite, affirme M. Amouroux. A contrario, les jeunes diplômés ont eu tendance à passer en catégorie A pour bénéficier de la revalorisation salariale progressive (qui atteindra au maximum 200 euros en juillet 2015). C’est notamment le cas de la plupart des agents du service hématologie de l’hôpital Saint-Antoine (Paris XIIe) : «Nous sommes beaucoup à avoir opté pour le reclassement en A», explique l’une des infirmières. «Le choix s’est fait par rapport à l’âge et le service compte surtout des jeunes.» Exerçant à l’hôpital Saint-Antoine depuis onze ans, cet agent hospitalier estime que la mesure de revalorisation a été prise pour diviser le personnel: «A ou B, qu’est-ce que ça va changer? Une augmentation de salaire de rien du tout et après? On sera toujours ici à faire le boulot, comme les autres. On essaie de nous faire croire que nous n’avons pas les mêmes intérêts, mais au fond que l’on soit aide-soignant, cuisinier ou médecin, les problèmes sont les mêmes : salaires, manque de personnel, etc. La situation se dégrade de plus en plus.»
Sur les huit syndicats consultés de juin 2009 à février 2010 dans le cadre de la négociation, seul le Syndicat national des cadres hospitaliers (SNCH), qui ne représente qu’une infime partie de la profession, avait ratifié l’ensemble du protocole. Les sept autres (SNPI, CFTC, FO, Unsa, CGT, CFDT et Sud) se sont au contraire mobilisés pour que soit retiré l’article 30 du projet de loi sur le dialogue social, remettant en cause la pénibilité du métier. «Cerise sur le gâteau: cet article a été rajouté au projet de loi», s’amuse le secrétaire général du SNPI CFE-CGC qui s’étonne que la loi accordant la pénibilité à la profession, votée en 2003 lorsque François Fillon était ministre des affaires sociales, soit retirée sept ans plus tard par le gouvernement du même François Fillon.
Depuis plus d’un an, les organisations syndicales relaient tant bien que mal les informations auprès des agents hospitaliers. «C’est difficile de comprendre ce qui se passe», confie une infirmière en poste depuis trois ans à l’hôpital Saint-Antoine. «Les syndicats font ce qu’ils peuvent pour communiquer, mais ils sont tous seuls. Ils donnent l’impression de nager à contre-courant. En plus, les protestations de la fonction publique ne font pas de bruit parce que nous sommes assignés à chaque mouvement de grève. Mêmes les plus jeunes finissent par se résigner.»
Pour le ministère de la santé, l’objectif de la réforme était double : outre la reconnaissance du diplôme d’infirmier au niveau licence, le gouvernement entendait pallier la pénurie d’infirmiers en maintenant les agents en activité, un tiers d’entre eux ayant plus de 50 ans. «Un échec», juge Thierry Amouroux du SNPI CFE-CGC. De son côté, le ministère se veut plus confiant et communique les premiers résultats collectés au 11 avril dernier : sur 199.424 agents concernés, 135.325 ont fait valoir leur droit d’option. Parmi eux, 76.646 (56,64%) ont opté pour un reclassement en A, tandis que 58.679 (43,36%) ont choisi de rester en B. Des résultats non définitifs puisque le choix de 64.099 agents n’a pas encore été notifié. En instaurant le droit d’option, le ministère de la santé souhaitait être incitatif. Il reste aujourd’hui prudent quant à ces effets, jugeant que si la mesure n’a pas rencontré de véritable plébiscite auprès de la profession, le résultat final devrait être proche du 50-50.
La situation des infirmiers FHP cristallise l’ensemble du malaise social français : baisse du pouvoir d’achat, manque de personnel et de moyens, logique de rentabilité… Pour les agents du service hématologie de l’hôpital Saint-Antoine, quels que soient les résultats définitifs du droit d’option, cette nouvelle réforme n’est qu’un leurre de plus: «Exercer ce métier pendant plusieurs années est impossible.» Un constat partagé par le syndicat SNPI CFE-CGC: «La durée moyenne d’une carrière d’infirmier est de 25 ans. Le taux d’invalidité des agents qui arrivent à la retraite est de 20% et l’espérance de vie d’une infirmière est inférieure de sept ans à celle d’une autre femme. Il était donc impensable que la pénibilité de la profession soit remise en question. C’est pourtant ce que le gouvernement a fait.»