Source : La dépêche du midi
Les médecins de la région ont assisté hier à un colloque à Labège sur le thème du mal-être d’une profession en proie à une pression sociale de plus en plus forte.
Il fallait au minimum un colloque, le premier, organisé hier à Labège (31) avec 250 participants et de nombreux intervenants (dont un Québécois et un Espagnol), pour tordre le coup à des préjugés. Quand on va chez le docteur, c’est parce qu’on est malade, mais peu de patients soupçonnent leur médecin traitant d’être au bord du gouffre. Chez les soignants, le sujet est suffisamment tabou pour qu’on le taise. Et pourtant, le malaise est bien une maladie de plus en plus contagieuse dans ce métier qui n’est pas sans risques : un généraliste toulousain séquestré durant plusieurs heures par un malade psychiatrique, un médecin lyonnais assassiné par un de ses patients le mois dernier, un anesthésiste de Montpellier qui se suicide après une erreur médicale. La profession est en danger, insistent les praticiens.
« Dans un contexte général d’augmentation du nombre des incivilités et des agressions, les médecins commencent à faire remonter leurs difficultés et à sortir de leur mutisme », expliquent les organisateurs du colloque du Conseil de l’ordre des médecins de la région Midi-Pyrénées. L’intitulé du rendez-vous résume la problématique « Médecins en 2011 : mieux être pour mieux soigner ».
La sécurité en question
Ils poursuivent : « Les signalements d’agression sont de plus en plus fréquents, que ce soit dans le cadre de visites à domicile et d’urgence ou dans leur exercice quotidien. La sécurité des médecins est aujourd’hui au cœur des préoccupations des professionnels de santé ». C’est pourtant une problématique encore mal reconnue par les pouvoirs publics, remarque le docteur Jean Thévenot, président du Conseil de l’ordre des médecins de la Haute-Garonne (lire ci-contre).
« ça n’est pas considéré comme une urgence, dit-il. C’est aussi pour cela que nous avons souhaité prendre en charge nos collègues, considérant que c’est un acte de santé publique ».
L’association MOTS, qui permet à des médecins dépressifs de se confier, a enregistré près d’une vingtaine d’appels en six mois d’existence. Essentiellement des appels de la région, dans des zones rurales – Ariège, Aveyron – où la densité médicale est en chute. Le docteur Thévenot, qui estime que la désertification est une des conséquences de la surcharge de travail des soignants, parle d’une moyenne d’âge qui se situe entre 55 et 60 ans en milieu rural. Le Conseil national de l’ordre des médecins, dans son Atlas 2010, révèle un écart croissant entre le nombre de médecins entrants (+1,8% en un an) et sortants (+6,6% en un an).
MOTS, à l’écoute des soignants
Le Conseil de l’ordre des médecins de la Haute-Garonne, dans sa mission d’entraide professionnelle, et le service des maladies professionnelles et environnementales dy CHU Toulouse Purpan (Inserm 558) mènent une réflexion sur l’accompagnement des médecins dans l’exercice de leur métier. Ils ont créé l’association MOTS (médecins organisation travail santé), une plateforme indépendante, où le soignant en souffrance peut bénéficier d’un audit personnel et confidentiel.
La phrase
« Notre volonté, c’est de faire connaître notre problématique du mal-être qui est un véritable tabou chez les médecins » Jean Thévenot, médecin
Le chiffre : 10%
médecins>/en libéral.Sur 100 médecins diplômes, à peine 10% s’installent en libéral, selon les chiffres du Conseil de l’ordre des médecins de la Haute-Garonne. Beaucoup choisissent les urgences et la médecine salariée et du travail.
« Le bien-être est important »
Jean Thévenot, président du Conseil de l’ordre des médecins de la Haute-Garonne
Les médecins et les soignants en général ont-ils une profession qui n’est pas bien armée contre la dépression ?
Oui et la réflexion entamée par le Conseil de l’ordre a commencé il y a trois ans, suite à une série de quatre suicides de médecins dans la région. Selon les statistiques nationales, le plus fort taux de suicides se rencontre chez les policiers, les médecins viennent en deuxième position.
On a du mal à le croire, tant les professionnels de santé semblent à l’abri du besoin.
Ce n’est pas forcément les revenus qui comptent dans la vie. Il y a aussi le bien-être et quand vous travaillez 70 heures par semaine, tout ce complique. Une erreur médicale, la pression sociale, la pression administrative sont des éléments qui peuvent faire basculer la vie. Les médecins ont plus de responsabilités et ne savent pas parler de leurs problèmes. Peu de médecins ont d’ailleurs un médecin traitant. Ils s’automédiquent mais ne se soignent pas. Et si l’on veut bien soigner les gens, il faut soi-même être en bonne santé.
Le « burn out » de Patricia Martel, médecin
À la voir aujourd’hui souriante et pleine de vie, on a du mal à s’imaginer cette jeune femme de 32 ans en dépression. Patricia Martel, médecin généraliste demeurant à Capbreton (Landes) et présente hier au premier colloque du Conseil de l’ordre des médecins de la région Midi-Pyrénées à Diagora (Labège), a fait ce qu’on appelle un « burn out » (en Français, se brûler) il y a trois ans. Elle était encore à l’internat, en fin d’études de médecine. « Six mois avant la fin de mes études, je n’en pouvais plus, j’ai même pensé à tout abandonner », avoue-t-elle. La jeune femme est apparemment guérie. En grande partie après avoir écrit son histoire, sous la forme d’un roman intitulé « Burn Out », publié aux éditions Atlantica.
Patricia Martel a vécu ce que beaucoup de soignants surchargés de travail vivent au quotidien en France. Sauf que quand on est soi-même médecin, avouer sa dépression est un tabou coriace. « Sur le moment, j’étais extrêmement fatiguée, se souvient-elle. Je ne savais si c’était psychique ou physique. J’ai mis un certain temps à me rendre compte que c’était le syndrome du burn out. Je faisais en moyenne trois gardes par semaine et près de 90 heures par semaine aux SAMU et aux urgences. Je changeais très souvent de service, de région. Je pense aussi que j’avais une capacité à être touchée plus que d’autres. Probablement que les gens plus humains sont souvent ceux qui se protègent le moins. Ce qui m’a fait craquer, c’est que j’ai été agressée verbalement par un patient, ça a fait déborder le vase. Et puis la société a changé. La reconnaissance qu’on avait envers le médecin il y a quarante ans n’existe plus aujourd’hui. On fait quand même un métier dont l’objectif est d’aider l’autre. Au bout du compte, je me suis dit autant devenir vendeuse dans un magasin. J’avais assez honte quand j’étais en arrêt de travail, c’est très tabou dans notre profession. J’ai cherché à me demander comment je pourrais un jour retrouver mon équilibre personnel. »
Prendre la plume a semble-t-il été la bonne thérapie. « Je tenais à travers ce roman à exprimer le vécu d’un médecin aujourd’hui, mais surtout à montrer en quoi ce vécu a changé depuis quelques années et me semble expliquer à la fois le mal-être actuel d’une génération entière de médecins, mais aussi pourquoi les jeunes médecins ne veulent plus s’installer », conclut-elle.