«Entendez-vous ces millions de Français?» Il est 16 heures, en ce mardi 7 septembre, les questions au gouvernement à l’Assemblée nationale vont se terminer et le débat dans l’hémicycle sur le projet de loi retraites va commencer, début d’une semaine de discussions. Le député socialiste Christian Paul interpelle Eric Woerth, le ministre du travail. «La justice sociale n’inspire pas votre réforme. Ça n’est pas une politique de courage, c’est une politique de classe.»
Il vient de prendre connaissance des estimations de mobilisation qui commencent à tomber. Les chiffres sont bons, très bons. Exceptionnels, même, pour une mobilisation organisée quelques jours après la rentrée. Le niveau des mobilisations en région est particulièrement haut, se réjouissent plusieurs dirigeants interrogés par Mediapart.
«Il y a environ un tiers de manifestants de plus que le 24 juin», déjà une bonne journée, se réjouit Annick Coupé, porte-parole de l’union syndicale Solidaires. «Nous étions autour de 3 millions», estime-t-elle. La CFDT parle de 2,5 millions de manifestants, la police évoque 1,1 million: exactement le niveau de la mobilisation du 29 janvier 2009, première grande manifestation de la crise.
«C’est une vraie réussite, explique Jean Grosset, n°2 de l’Unsa, particulièrement heureux du niveau de mobilisation dans le privé. A Nantes, la moitié d’EADS est sortie en manif’. A Charleville-Mézières, 40% des salariés de la fonderie de Peugeot ont arrêté le travail.»
Sommé de «parler» (dixit François Chéréque), Nicolas Sarkozy va faire mercredi matin en Conseil des ministres une «déclaration sur des avancées», a indiqué mardi soir Eric Woerth, invité de TF1, sans plus de précision. Elles devraient concerner la pénibilité ou les polypensionnés. Il s’agit en tout cas d’un signe supplémentaire de ce que le dossier des retraites est géré en direct par l’Elysée. Sur TF1, Bernard Thibault n’a même pas voulu débattre en direct avec Eric Woerth. Officiellement pour ne parler que du fond. Une humiliation pour le ministre du travail…
Et maintenant? A La Poste ou à la SNCF, des AG devraient se tenir mercredi mais les grèves reconductibles seront sans doute limitées. Bien plus cruciale est la réunion de l’intersyndicale, dans l’après-midi, au siège de la CGT. «Il faut une mobilisation dès la semaine prochaine, un signal fort pour montrer que l’intersyndicale ne lâche pas le morceau», estime Annick Coupé, la représentante des Sud.
La CGT, dont la décision est traditionnellement prépondérante dans ce genre de rassemblement, va réunir ses fédérations et son bureau confédéral mercredi matin. «Il faut poursuivre, y compris pourquoi pas durcir», estime un de ses dirigeants. En fait, le menu des prochaines semaines se dessine déjà. La CGT, la CFDT et l’Unsa, qui ont beaucoup discuté mardi dans le carré de tête du cortège parisien, pourraient proposer un scénario en plusieurs actes:
- Un, des rendez-vous le 15 septembre, jour de la fin de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, dont la nature reste à déterminer.
- Deux, une grande manifestation nationale le week-end du 18 septembre. Le samedi, ou «pourquoi pas le dimanche», selon le dirigeant d’un syndicat interrogé par Mediapart. Un rendez-vous proche, qui permettrait aux salariés du privé et à tous ceux qui n’ont pas manifesté de défiler eux aussi.
- … avant une nouvelle mobilisation début octobre, au moment de l’examen du texte au Sénat. «Nous ne voulons pas nous inscrire dans le calendrier parlementaire, estime la CGT. L’exécutif semble considérer que la réforme sera pliée le 15 septembre après le vote à l’Assemblée. Ce n’est pas du tout notre avis.»
- Le rendez-vous du 29 septembre, jour de manifs européennes contre les politiques de rigueur, permettrait d’entretenir la flamme entre-temps.
De toute évidence, la mobilisation de mardi a rasséréné les dirigeants de l’intersyndicale, qui évoquent «une ambiance qui rappelle le CPE». «Cette réforme irrite les gens comme le CPE les insupportait», veut croire l’Unsa. «On sent dans les cortèges une vraie détermination», dit Bernadette Groison (FSU). La référence n’est pas choisie par hasard. En 2006, après un printemps de manifestations, l’ampleur du mouvement social avait eu raison du projet du gouvernement de Dominique de Villepin.