Jean-Christophe Le Duigou, représentant CGT au Conseil d’orientation des retraites (COR), publie, avec Pierre-Yves Chanu, Le Petit Livre des retraites (A l’usage de ceux qui veulent les défendre), qui sort le 3 mai en librairie aux éditions de L’Atelier.
L’alignement du régime de retraite des fonctionnaires sur celui des salariés du privé s’impose-t-il ?
La CGT ne défend bien sûr pas une inégalité de traitement entre les agents du public et les salariés du privé, mais justifie la spécificité statutaire de la fonction publique. Pour un même travail, il faut une même rémunération et la retraite doit suivre ce principe d’égalité. C’est d’ailleurs à peu près le cas aujourd’hui quand on compare les pensions moyennes du public et du privé.
Un agent de la fonction publique territoriale ou de la fonction publique hospitalière touche, à la retraite, une pension mensuelle moyenne de 1 170 euros, plus basse que celle d’un salarié du privé (1 212 euros). En revanche, la pension moyenne d’un fonctionnaire de l’Etat est plus élevée (1 850 euros par mois). Mais cela s’explique par l’importance, parmi ces fonctionnaires, du nombre d’enseignants – ils sont 800 000. A structure de qualification égale, la pension moyenne des fonctionnaires de l’Etat est, à quelques dizaines d’euros près, la même que celle des salariés du régime général.
De plus, dans la fonction publique, l’écart entre les revenus des hommes et ceux des femmes est deux fois moins important que dans le privé, donc c’est aussi le cas de leur pension. Ce système garantit mieux les femmes contre des traitements discriminatoires et leur assure à la fois une meilleure carrière et une meilleure retraite.
Enfin, lorsque l’on tient compte des primes, le taux de remplacement, c’est-à-dire ce que représente la pension en proportion du dernier revenu d’activité, est voisin dans le public et dans le privé, sauf pour les cadres fonctionnaires, qui sont nettement défavorisés.
En quoi le statut de la fonction publique est-il spécifique ?
Les fonctionnaires, à la différence des salariés, ne vendent pas leur force de travail à un employeur. Ils accomplissent une mission dans l’intérêt collectif, ce qui justifie la situation salariale particulière dans laquelle ils se trouvent : ils ne sont pas payés pour l’emploi qu’ils occupent mais en fonction du grade qui leur a été reconnu, généralement par concours. Cette séparation du grade et de l’emploi perdure pour les fonctionnaires retraités. Elle explique les modalités de calcul de la pension sur les six derniers mois de traitement indiciaire.
Cette règle est un élément constitutif de la notion de carrière, elle-même liée à celle de mission publique. La remettre en cause, ce serait toucher au fondement du statut de la fonction publique de 1945, qui a créé pour le fonctionnaire un équilibre de droits et d’obligations. L’égalité n’est pas l’uniformité. De plus, ces dernières années, les retraites des fonctionnaires, indexées sur la valeur du point d’indice fonction publique, ont été revalorisées deux fois moins que celles du privé.
La recherche de convergence entre le public et le privé fait-elle débat à la CGT ?
Le rapprochement public-privé fait évidemment débat, y compris à la CGT. Le contraire serait surprenant : les réformes de 1993, 2003 et 2007 ont successivement divisé les salariés du privé et du public en les opposant les uns aux autres. Mais, au-delà du fait qu’il ne saurait être question de profiter de la réforme des retraites pour remettre en cause le statut de la fonction publique, aligner le public sur le privé supposerait de prendre les primes en compte. Cela coûterait extrêmement cher à l’Etat. Ce que le ministre du travail, Eric Woerth, a sans doute déjà bien perçu.
Propos recueillis par Claire Guélaud
« Les salariés du privé ont aujourd’hui le sentiment d’être lésés »
Danièle Karniewicz est présidente (CFE-CGC) de la Caisse nationale d’assurance-vieillesse (CNAV).
Estimez-vous nécessaire d’aligner le régime de retraite du public sur celui du privé ?
En tant que présidente de la Caisse nationale d’assurance-vieillesse (CNAV), je représente 30 millions de salariés du privé, cotisants ou retraités, qui sont très sensibles aux différences de traitement entre le secteur public et le secteur privé. Je crois que l’on ne peut pas ignorer cette montée en puissance d’un fort sentiment d’inégalité : les salariés du privé ont aujourd’hui le sentiment d’être lésés, car ils estiment qu’on leur demande toujours plus d’efforts pour toujours moins de retraite.
Ce sentiment est particulièrement prégnant à l’approche du rendez-vous sur les retraites de 2010 car, au fur et à mesure des débats, les salariés ont mieux compris les différences et ne les acceptent plus.
Je ne demande pas un régime unique, mais je pense qu’il est nécessaire de parler de convergence des efforts dans le temps. Il sera évidemment impossible de le mettre en oeuvre en deux mois de concertation mais il faudra afficher un principe de convergence sur plusieurs années.
Comment mettre en œuvre ce principe de convergence ?
Aujourd’hui, les taux de cotisation du public sont nettement plus faibles que ceux du privé, alors que le montant des pensions, au regard des derniers salaires d’activité, est plus élevé ! Dans le public, on affiche en effet des pensions qui représentent 75 % des derniers salaires hors primes alors que dans le privé, le taux de remplacement moyen (ce que représente la pension en pourcentage du dernier revenu d’activité) est nettement plus faible avec, en sus, des différences très marquées : 85 % pour les carrières au smic, 50 %, voire moins, pour d’autres.
Une garantie de niveau de pension existe dans la fonction publique, pas dans le secteur privé. Il est donc impératif de rassurer les salariés du privé, et notamment les plus jeunes, en affichant, pour chacun d’eux, un seuil minimal de retraite en fonction des salaires d’activité, c’est-à-dire un « bouclier retraite ». Dans un second temps, l’attente des salariés du privé, c’est qu’il y ait un rapport d’égalité entre le taux de cotisation et le montant de la retraite des Français, quels que soient les statuts.
Faut-il modifier le mode de calcul des pensions, qui est fondé sur les vingt-cinq meilleures années pour le privé et les six derniers mois pour le public ?
Je ne suis pas sûre qu’il faille aligner les modes de calcul des pensions. Ce qui compte, c’est que l’on ait, en bout de course, un taux de remplacement équivalent entre le niveau de la retraite et le niveau des derniers salaires d’activité. Peu importe le mode de calcul pourvu que le résultat soit là !
Une différence majeure, toutefois : dans la fonction publique, où l’on garde son emploi toute sa vie, les derniers salaires d’activité sont plus élevés que ceux de début de carrière. Dans le secteur privé, de plus en plus de salariés sortent de l’emploi à 50 ou 55 ans et retrouvent en fin de carrière un petit job assorti d’un salaire bien plus faible que celui qu’ils ont touché à 40 ou 45 ans. Il faut donc être prudent sur la référence à prendre pour mesurer le taux de remplacement et le niveau du « bouclier retraite ».
Faut-il modifier les âges de départ à la retraite, qui ne sont pas parfaitement identiques dans le public et dans le privé ?
Il faut, bien sûr, se donner du temps mais il est nécessaire d’avoir un jour les mêmes paramètres pour le public et le privé. Le seul fondement légitime d’un arrêt d’activité précoce, c’est la pénibilité du travail car elle joue sur la santé, l’usure physique ou mentale et l’espérance de vie. Pour le reste, il n’y a aucune raison d’afficher des âges différents en fonction des statuts.
Propos recueillis par Anne Chemin