Des hôpitaux toujours aveugles au risque de l’amiante

Par Elsa Sabado

– Mediapart.fr

Alors que le parquet de Paris vient de demander la fin des investigations pénales concernant une vingtaine de dossiers emblématiques du scandale de l’amiante, Mediapart explore la situation de certains hôpitaux français qui ne veulent toujours pas voir les risques. Exemple à Toulouse, où la direction attaque en justice les syndicats qui demandent une expertise, et à Poitiers, où les documents présentés aux élus sont falsifiés pour minimiser la présence d’amiante dans l’air.

Vingt ans. Cela fait vingt ans que l’usage de l’amiante a été totalement interdit en France, sous quelque forme que ce soit. Dans la foulée, une réglementation très sévère a été mise en place pour obliger les propriétaires de bâtiments à établir un « dossier technique amiante » (DTA) cartographiant la présence de la fibre tueuse pour savoir comment l’empêcher de nuire ou la retirer. Une enquête est régulièrement menée par le ministère de la santé auprès de 4 000 établissements de la fonction publique hospitalière. 225 d’entre eux ont répondu à la dernière édition : 32 établissements déclarent connaître une situation problématique quant à la présence d’amiante, et 250 cas individuels de maladies liées à l’amiante (plaques pleurales, mésothéliome ou cancer broncho-pulmonaire) sont reconnus.

Malgré ces avancées, un coup dur pour les victimes est intervenu aujourd’hui avec la décision du parquet de Paris, dévoilée ce mercredi 28 juin par l’AFP, de demander la fin des investigations pénales à propos d’une vingtaine de dossiers, qui, de ce fait, pourraient être classés par le pôle Santé publique de Paris. Motif invoqué : il serait impossible de déterminer avec certitude quand les victimes ont été intoxiquées.

Un précédent jugement, dans le monde hospitalier, avait toutefois encouragé les victimes. En novembre dernier, la direction du CHU de Besançon a été condamnée à 40 000 euros d’amende pour avoir exposé délibérément ses salariés aux petites fibres blanches. « Dès avril 2010, des informaticiens nous avaient signalé la présence d’amiante dans les plafonds. La direction a fait l’autruche, et a continué à faire intervenir des agents sur des zones amiantées. Et ce, malgré les interventions réitérées de notre intersyndicale. Nous avons fait intervenir l’inspection du travail, la caisse régionale d’assurance maladie…. Mais rien n’y faisait », regrette Pascale Deltombe, membre de l’intersyndicale bisontine. En 2011, CGT, CFDT, FO et Sud prennent un avocat et portent plainte. Cinquante salariés sur les 130 exposés se constituent partie civile. Il faudra attendre encore cinq ans pour qu’ils obtiennent gain de cause. En première instance du moins, car le CHU a fait appel.

Cette première historique a donné de l’élan à d’autres équipes syndicales d’hôpitaux en France. Depuis le 3 février, la CGT rassemble un groupe de travail des syndicalistes hospitaliers spécialement dédié à l’amiante. Il compte des représentants de Toulouse, Poitiers, Besançon, Caen, Clermont-Ferrand, Bordeaux… La vérification des sites sur lesquels travaillent ces syndicalistes révèle une situation inquiétante. Dans une partie des hôpitaux, l’application de la réglementation concernant l’amiante est au point mort. Dans d’autres, elle n’a même pas commencé. Pire : lorsque les syndicalistes alarment leurs directions, celles-ci refusent de prendre les mesures pour combler leur retard. Salariés et usagers continuent d’être exposés à ce poison. Enquête à Toulouse et à Poitiers.

L’expertise de Toulouse

Depuis 2010, ce tuyau au beau milieu du local syndical tracassait Jean Escartin. L’infirmier, secrétaire du CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) du site Hôtel-Dieu La Grave du CHU de Toulouse, le soupçonnait de contenir de l’amiante. Il avait entendu parler des dangers de cette matière et de la réglementation lors de réunions interprofessionnelles. « Les camarades du centre des finances publiques de Montauban avaient obtenu de déménager leur site parce que les dalles du sol contenaient de l’amiante. Nous, on avait les mêmes… et rien », se souvient Jean Escartin. Un reportage sur Arte renforce ses soupçons : « Le journaliste disait que les victimes de l’amiante échappaient aux radars, parce qu’elles n’étaient pas bien diagnostiquées. Et, quand bien même elles l’étaient, les médecins conseillaient aux malades, vu leur espérance de vie, de se mettre en affection longue durée plutôt que de se battre pour faire reconnaître l’origine professionnelle de leur cancer », raconte encore le syndiqué.

Jean Escartin dans un garage à vélos de l'hôpital où de l'amiante a été découverte. © ES Jean Escartin dans un garage à vélos de l’hôpital où de l’amiante a été découverte. © ES

Préoccupé, il se documente auprès de l’INRS, l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles. Et commence à questionner la direction lors des réunions de CHSCT. Le médecin du travail lui rétorque qu’une seule personne, sur les 14 000 qui travaillent à l’hôpital, était morte d’une maladie de l’amiante dont l’origine avait été reconnue comme professionnelle. « Mais une seule, pour moi, c’était déjà trop ! », s’exclame Jean Escartin. Cette personne, c’est le Dr Guittard, décédé des suites d’un mésothéliome reconnu d’origine professionnelle par l’hôpital. Depuis, un autre malade a été dépisté : Michel*, qui a travaillé plus de quarante ans en tant qu’électricien à l’hôpital, présente des plaques pleurales, susceptibles de dégénérer en mésothéliome. L’hôpital a reconnu l’origine professionnelle de la maladie. Chaque fois que Jean Escartin demande à consulter le fameux DTA, la direction trouve un moyen de se soustraire. Sans preuves, il peine à alerter ses camarades.

Mais début 2016, une série d’alertes fait progresser son enquête : « La direction a évoqué la présence d’amiante dans les combles d’Hôtel-Dieu La Grave. Puis j’ai vu des élèves en podologie entrer dans un vestiaire où il était affiché en gros “Interdiction d’entrer, amiante”, parce qu’ils n’avaient nulle part ailleurs où se changer. Des bruits nous sont parvenus sur la présence d’amiante dans les Algeco de hôpital Purpan et les ascenseurs de celui de Rangueil », tous deux dépendants du CHU de Toulouse, liste le secrétaire du CHSCT. Il réclame alors des prélèvements sur le fameux tuyau du local syndical. « La directrice m’a alors dit qu’elle acceptait de faire ces prélèvements “pour me faire plaisir” », relate Jean Escartin.En plein été, les membres du CHSCT découvrent les résultats du prélèvement. Les endroits testés sont bourrés d’amiante. « À ce moment, la direction a bien été obligée de nous laisser consulter le DTA. Mais quelque chose clochait : il montrait seulement les endroits où il y avait de l’amiante, pas les autres. Et surtout, le tuyau du local syndical n’y figurait pas », poursuit Jean Escartin. Un dernier incident survient à la fin de l’été 2016, lorsque les gravats d’un chantier de désamiantage sont laissés en plein air, aux quatre vents. Le CHSCT signale un « danger grave et imminent ». « Cette fois, sept millions d’euros ont été débloqués pour faire quelques travaux de désamiantage », raconte l’aide-soignant.

Les syndicalistes s’inquiètent. Si le DTA ne mentionnait pas leur local et son fameux tuyau, quels autres endroits avaient été négligés par la direction ? Jean Escartin s’en enquiert auprès du directeur du pôle Piste, chargé de la logistique de l’hôpital. « Sans lever le nez de ses cahiers, ce monsieur m’a indiqué que remuer ces histoires d’amiante mettrait l’hôpital sur la paille, et que les fonds débloqués pour le désamiantage seraient autant d’argent perdu pour financer des postes », raconte le lanceur d’alerte. Le désamiantage coûte cher, environ 2 000 euros pour un mètre cube d’amiante à retirer. Comme ce sont des établissements autonomes, les hôpitaux doivent réaliser ces travaux sur leurs maigres fonds propres… Une raison suffisante pour exposer salariés et usagers ?

La série d’alertes ne s’arrête toutefois pas. À l’occasion d’une restructuration, le secteur accouchement devait déménager dans le bâtiment Paul-de-Viguier. Et, finalement, non. « Un bruit a commencé à courir sur le fait que c’était à cause de l’amiante, raconte Pauline Salingue, aussi déléguée CGT au CHSCT. On ne comprenait pas : le bâtiment avait été construit en 2003, bien après l’interdiction de l’amiante. Alors dans le doute, nous avons préféré poser un droit d’alerte », poursuit l’éducatrice. À la réunion, la direction montre des signes de tension. « D’emblée, la directrice nous a annoncé qu’il n’y avait pas de DTA pour ce bâtiment parce que son permis de construire datait du 21 juillet 1997. Or le DTA n’est obligatoire que pour les bâtiments dont le permis de construire date d’avant le 1er juillet 1997. On a donc demandé un mini-diagnostic, mais la représentante du pôle Piste refusait toujours. Cela n’a fait qu’approfondir nos doutes », raconte Pauline.

Le 2 février 2017, un nouveau CHSCT a lieu. La direction concède que son DTA n’est pas à jour. « On a commencé par nous expliquer que c’est parce qu’ils ne disposaient pas des clés de tous les lieux de l’hôpital. Le chef des médecins du travail de l’hôpital lui-même découvrait qu’il y avait de l’amiante là où il accrochait son scooter chaque jour. Bref, l’amiante, c’est le cadet des soucis de la direction. C’est même un total angle mort », se désole Julien Terrier, autre délégué du CHSCT. Au vu de la confusion et de la négligence manifeste de l’hôpital quant à la prévention du risque amiante, tous les syndicalistes que compte le CHSCT (CGT, FO, Sud, CFDT) votent pour que l’hôpital ait recours à l’expertise d’un cabinet spécialisé en santé au travail, afin d’avoir une idée précise de ce qui a été fait, et de ce qui reste à faire en matière de désamiantage.

La direction du CHU attaque alors en justice cette décision. Le 21 mai, l’affaire passe devant le tribunal de grande instance. La justice tranche en faveur des syndicalistes : l’expertise est fondée parce qu’un risque grave existe.

L’hôpital est donc obligé de la mener. « Mais la direction m’a fait comprendre qu’ils allaient mégoter sur le périmètre, le coût, tout ce qu’ils pourraient pour faire traîner cette affaire », explique Julien Terrier. La direction, sollicitée pour apporter des réponses aux questions soulevées par les syndicalistes, nous a transféré la documentation communiquée à ses agents, détaillant leur politique de prévention quant à l’amiante, sans répondre précisément à nos questions.

Le mensonge de Poitiers

À un peu plus de 400 kilomètres de là, aux mêmes problèmes, mêmes types de réaction. 
« Quand on a appris que la direction du CHRU de Besançon avait été condamnée à 40 000 euros d’amende en première instance, le responsable amiante de l’hosto rigolait moins. Il rasait les murs », se rappelle Nicolas Boué. Au travers des mots de l’agent de sécurité incendie du CHU de Poitiers, on discerne le soulagement de ne plus prêcher dans le désert. Il en a fallu, du temps, avant que ses mises en garde ne soient prises au sérieux.

Le travail de Nicolas Boué consiste à tester les dispositifs coupe-feu. Pour cela, il déclenche les systèmes qui font tomber des trappes, s’ouvrir des clapets, circuler l’air entre des grilles de désenfumage. Chaque année, des tests sont effectués par un bureau d’évaluation des risques indépendant de l’hôpital. Fin 2013, Nicolas Boué doit accompagner un technicien pour passer ce test. Lorsqu’il le voit arriver avec masque et scaphandre anti-amiante, inquiet, Nicolas réclame un équipement similaire. Mais le responsable amiante de l’hôpital, Ludovic Blanchier, refuse, lui garantissant l’absence d’amiante dans les murs de l’hôpital. Pas convaincu, Nicolas Boué enfile une charlotte, un masque contre la grippe, et s’en va faire les tests en question.

L’agent de sécurité a grandi à Descartes, une petite commune d’Indre-et-Loire construite autour d’Everite, une usine de tôle en fibrociment, appelé aussi amiante-ciment. Oncles, cousins, parents de camarades de collège… Les morts précoces dues à des mésothéliomes pleuraux ou à cancers broncho-pulmonaires – les maladies caractéristiques de l’amiante –, il connaît.

Nicolas Boué et Jean-Louis Mimault devant le CHU de Poitiers. © ES Nicolas Boué et Jean-Louis Mimault devant le CHU de Poitiers. © ES

Nicolas Boué est aussi un élu CGT. À la suite de son esclandre, ses sources l’informent qu’un vendredi soir, en catimini, des mesures de la densité d’amiante dans l’air ont été réalisées par ses collègues de la sécurité. À la réunion de CHSCT suivante, en septembre 2014, Nicolas Boué s’enquiert du résultat de ces prélèvements. « M. Blanchier, le responsable amiante, annonce, à l’oral, 4,80 fibres par litre d’air. Je me dis que tout va bien, car le seuil maximal autorisé pour les établissements recevant du public s’élève à 5 fibres par litre d’air sur huit heures d’exposition », raconte le syndicaliste.

Quelques jours plus tard, il va signer le procès-verbal de la réunion du CHSCT. Là, stupeur… la virgule s’est envolée ! Le document indique non pas 4,80, mais 480 fibres par litre d’air. En colère, Nicolas Boué exige l’original des résultats. Le document indique en réalité 611 fibres par litre d’air émises, sur 15 minutes d’exposition. Construit en 1980, l’ensemble du système incendie de l’immeuble Jean-Bernard est amianté. « En France, les hôpitaux ont été construits dans les années 1970, 1980. On a bâti des immeubles de grande hauteur, dont les dispositifs coupe-feu devaient être très efficaces. Or, à cette époque, l’amiante était plus léger et plus facile à utiliser que le plâtre. Et comme il était déjà interdit aux États-Unis et en Grande-Bretagne, les producteurs ciblaient la France pour écouler leur production », explique Francis Judas, salarié du Tripode à Nantes et devenu, à force de militer, expert des questions d’amiante.Nicolas Boué n’est pas le premier à soulever le problème. Avant lui, en 2006, Jean-Louis Mimault, un autre agent de sécurité qui avait lui aussi pris conscience du danger, avait envoyé un dossier aux salariés, à la direction de l’hôpital, au maire de Poitiers, membre du conseil d’administration, et à l’ancêtre de l’Agence régionale de l’hospitalisation. En vain. « J’avais l’impression que les gens ne se sentaient pas concernés. Pourtant, on avait vissé, percé, taraudé l’amiante », explique Jean-Louis Mimault, aujourd’hui à la retraite. L’affaire s’est tassée, jusqu’à ce que Nicolas Boué soulève à nouveau le problème.

Cette fois-ci, il a plus d’écho. En 2016, une vingtaine de personnes se sont retrouvées autour du cercueil d’un de leurs collègues. L’amiante a commencé à ronger les poumons de Jean-Luc Permann en 2006, et l’hôpital avait reconnu que sa maladie était imputable au service. Nicolas Boué et Jean-Louis Mimault ont une réaction paradoxale vis-à-vis de ce collègue. Ils pleurent sa mort, autant qu’ils lui en veulent de n’avoir jamais rien dit de sa maladie, mettant ainsi le reste de l’équipe en danger. Trois autres agents hospitaliers présentent des plaques pleurales, signes d’une exposition à l’amiante.

À l’hôpital, les incidents se poursuivent. Le 8 mars 2016, des travailleurs polonais sous-traitants d’un prestataire de l’hôpital démontent les plafonds du niveau – 3 à mains nues et sans protection. Les collègues de Nicolas ne réalisent qu’à la fin de la journée : selon le DTA, il s’agit d’un bâtiment contaminé. « La directrice est revenue sur le site à 23 h 30 pour superviser la sécurisation de la zone. Mais les ouvriers vont rentrer à Varsovie. À quel suivi auront-ils droit là-bas ? », s’insurge Nicolas Boué.

Pendant des mois, Nicolas Boué a mené seul son travail de traque de l’amiante. Ses camarades lui laissent « carte blanche », le considèrent comme « spécialiste », mais ne prennent pas en charge le problème de manière collective. Une nouvelle perspective s’ouvre lorsqu’il fait la rencontre, pendant les manifestations contre la loi sur le travail, d’autres syndicalistes de la Fonderie du Poitou. Invité à l’assemblée générale de l’association de défense des travailleurs victimes de l’amiante de cette entreprise, il fait la connaissance de Me Lafforgue, un avocat spécialisé dans ces questions, avec qui il définit une stratégie pour obliger l’hôpital à régler son problème avec l’amiante.

En avril 2017, Nicolas Boué organise donc une réunion d’information. Vingt actifs et anciens du service sécurité incendie et des services techniques sont là… mais, mis à part Nicolas, personne pour représenter la CGT. La dirigeante de l’union départementale doit rappliquer en dernière minute. Lorsque nous rendons visite à Nicolas Boué, en mai 2017, des éclats de voix transpercent la porte du local syndical. La représentante de l’UD remonte les bretelles du secrétaire du syndicat de l’hôpital. « C’est bien beau, de laisser carte blanche à Nicolas, de dire que l’amiante est un “sujet difficile”. Mais qu’est-ce que tu feras dans vingt ans quand des gars reviendront te voir malades ? », tonne la quadra. Nicolas Boué, la représentante de l’UD et le secrétaire du syndicat s’accorderont pour que le syndicat fasse de l’amiante une priorité.

Comme à Toulouse, la direction du CHU de Poitiers a préféré, plutôt que de répondre directement à nos questions, nous faire parvenir un communiqué, consultable ci-dessous.

« Aujourd’hui, les syndicats s’emparent de la question de l’amiante, alors qu’auparavant, seuls des syndicalistes isolés se lançaient dans la bataille », relève Annie Thébaud-Mony, chercheuse en sociologie de la santé publique, depuis toujours aux côtés des victimes de cancers professionnels. « Auparavant, les syndicats mettaient toutes leurs forces sur les salaires et l’emploi, traitant la question des conditions de travail comme une question secondaire. Aujourd’hui, le bruit de fond des morts de l’amiante finit par s’entendre. Il y a de manière indiscutable une plus grande sensibilité, dans la société, aux questions environnementales… Et le nombre de cancers a été multiplié par trois. J’ai une “alerte Google” depuis 2005 sur l’amiante. À l’époque, cinq articles tombaient chaque semaine, aujourd’hui, j’en compte vingt », explique Francis Judas.

Autre possible motif de ce réveil, la perte progressive de l’influence du puissant Comité permanent amiante. Ce « groupe informel », en poste de 1982 à 1995 et financé par les industriels de l’amiante, regroupait chercheurs, médecins, syndicalistes et servait de courroie de transmission aux « fake news » de l’époque sur l’amiante. « Les syndicats s’émancipent peu à peu de l’idée, répandue par le CPA, du “risque négligeable”. Quand il s’agit d’amiante, il n’y a pas de plus ou moins grand risque : une seule fibre suffit à vous rendre malade », explique Annie Thébaud-Mony.

[[lire_aussi]]La prise de conscience de l’importance de ce problème semble avancer plus vite pour l’opinion publique et les syndicats que pour les directions des hôpitaux, en tout cas à Poitiers et Toulouse. « Il y a un réel retard du secteur public sur la question des risques professionnels et de la santé au travail. Ils croient qu’ils ne sont pas concernés par le code du travail, qui s’exerce dans le privé. Or la quatrième partie, sur la santé et la sécurité, s’applique y compris au public », explique Michel Ledoux, avocat spécialisé sur ces questions. « Les entreprises privées sont dans une recherche d’équilibre entre dépenser le moins d’argent possible pour la prévention du risque amiante et éviter de se faire épingler. Elles doivent maintenir une certaine image. Alors que les entreprises publiques n’ont pas ce problème. Elles ont moins peur du gendarme parce que jusqu’au procès de Besançon, elles n’avaient jamais été condamnées », abonde Annie Thébaud-Mony.

Pour l’instant, les directions des hôpitaux continuent de faire l’autruche : « Regardez à Toulouse ! Le CHSCT a une démarche extrêmement responsable, sérieuse, ils demandent une expertise… Et au lieu de les remercier, l’employeur considère cela comme une déclaration de guerre et les traîne au tribunal administratif. C’est bien simple, les pouvoirs publics n’agissent que lorsqu’ils sont acculés », se réjouit Annie Thébaud-Mony.

Bien qu’ils n’en soufflent mot dans leurs réponses, l’un des facteurs explicatifs des réticences des CHU à désamianter est financier. Déficitaires, les hôpitaux sont en permanence sommés de faire des économies (3 milliards d’euros, par exemple, entre 2015 et 2018). Ils n’ont donc réellement pas les fonds pour faire ces travaux et, comme à Besançon, somment parfois l’État d’assumer ses responsabilités : après tout, c’est sous sa gouverne qu’ont été construits les hôpitaux. Interrogé, le ministère de la santé a beau jeu de rappeler aux directeurs d’établissement leurs demandes toujours plus grandes d’autonomie : « La volonté nationale d’accompagner la sortie des situations restant problématiques est là. Pour autant, le rôle des managers hospitaliers est essentiel. En tant qu’employeurs et du fait de la large autonomie dont ils disposent vis-à-vis de la tutelle ministérielle, le domaine de la protection, de la santé et de la sécurité de leurs agents relève de leur champ de compétences propre. » Si les plaintes se multiplient, la justice devra faire cesser ce renvoi de balle, en déterminant à qui il revient de payer les réparations aux familles. Si l’État a les reins assez solides pour assumer cette charge, les établissements, eux, ne les ont pas.

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Boite Noire

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