Conditions de travail, 30 ans de luttes dans les entreprises

par Christophe Abramovsky

Photo Sophie Lebéon

La loi n° 82-1097 relative aux comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail dite loi « Auroux » a été promulguée le 23 décembre 1982. 30 ans après la volonté de « permettre aux travailleurs d’améliorer eux-mêmes leurs conditions de travail » reste toujours un enjeu central. Entretien avec Julien Terrié, secrétaire du CHSCT du CHU de Toulouse, représentant syndical CGT et manipulateur en radiologie à l’hôpital des enfants.

Le CHSCT vient de fêter ses 30 ans. Quel est son rôle ?

Le CHSCT est une instance consultative des représentants des salariés. Il traite des sujets concernant la prévention des risques professionnels dans chaque entreprise de plus de 10 salariés. Il a été voulu par le législateur pour « permettre aux travailleurs d’améliorer eux-mêmes leurs conditions de travail ». En ce sens, il y a une forme de reconquête du contenu du travail. Pour nous syndicalistes, cette instance nous permet d’aller au plus près des vrais enjeux. On a coutume de dire que l’augmentation de la souffrance psychique et physique au travail des salariés est l’expression de l’augmentation de l’exploitation. Faire plus avec moins : moins payés, moins de droits et moins reconnus. C’est un cocktail explosif pour la santé.

En 30 ans, les conditions de travail se sont-elles améliorées ?

Cette année, les accidents de travail et les maladies professionnelles ont encore augmenté de 1,1% et ont entraîné officiellement 46,9 millions de journées d’arrêt de travail (2 jours par actifs). Selon les estimations du BIT, il s’agit d’une perte de 50 milliards d’euros (2,5% du PIB). Le BIT estime qu’en France, une journée d’arrêt de travail coûte 1 000 euros à l’employeur. Le coût humain est incalculable et pèse lourdement sur des millions de foyers. Cette année encore, 37% des handicaps reconnus sont d’origine professionnelle. Nous savons aussi que les accidents de travail et maladies professionnelles sont sous-déclarés. Une bataille est menée contre les déclarants d’accidents de travail, aussi bien dans le privé que dans le public. Les qualifications ne sont plus respectées et le travail réellement effectué n’est pas reconnu, notamment dans les professions de santé ou du social. Le travail est un facteur de création de l’identité et d’émancipation lorsque les conditions sont réunies, mais la qualité empêchée, la non-reconnaissance, le non-respect de la dignité des travailleurs sont, au contraire, source de souffrance, pouvant conduire dans le pire des cas au suicide.

Comment expliquez-vous cette dégradation, alors que la science et les techniques ont fait d’énormes progrès ?

Même si des efforts sont faits en termes d’investissement, en équipement ergonomique parfois, le but reste la recherche de gains de productivité. Alors que l’espérance de vie en bonne santé vient de passer à 61,5 ans, les différents gouvernements continuent de prendre des mesures délétères : augmentation de la durée de cotisation retraite, augmentation de l’âge légal à 62 ans, réforme de la médecine du travail, limitant son indépendance vis-à-vis de l’employeur, fin de la reconnaissance de la pénibilité pour les professions paramédicales, mais aussi baisse du « coût du travail », donc des salaires et de la protection sociale. Annie Thébaud-Mony, directrice de recherches au CNRS, a dit récemment : « nous sommes face à une forme de crime organisé. » On ne se rend pas compte, mais des millions de gens sont humiliés, discriminés, cassés, jetés en toute impunité. On a chacun un devoir de résistance par rapport à ces situations.

En tant que secrétaire du CHSCT du CHU de Toulouse, quelles actions menez-vous au sein des établissements hospitaliers ? Quelles sont vos priorités ?

Au CHU de Toulouse, il y a près de 13.000 salariés, alors la tâche est rude. Les évaluations obligatoires annuelles des risques professionnels n’étaient pas réalisées. On a obtenu qu’elles le soient en 2012. Reste maintenant à appliquer les préconisations de ces analyses. Nous avons malheureusement eu une tentative de suicide d’un agent sur le lieu de travail à l’hôpital des enfants. Nous avons voté une expertise avec le Cabinet ISAST pour proposer des solutions. La direction n’a à ce jour pas mis les moyens financiers pour régler définitivement les problèmes, notamment le renforcement du personnel de ce service. C’est désespérant ! La direction maîtrise parfaitement les méthodes de management qui correspondent à la privatisation de l’hôpital. « Tout est privatisable à l’Hôpital », nous a dit un Directeur en CHSCT. En effet, l’hôpital est une entreprise qui marche au retour sur investissement, intéressement et contrats d’objectifs. Le CHU de Toulouse a même été noté par l’agence Moody’s en 2012 ! Les agents hospitaliers ne trouvent plus de sens à leur travail. Alors, notre priorité, c’est reconquérir la dignité au travail des hospitaliers. Ça passe par trois axes : l’augmentation des salaires et la reconnaissance de toutes nos professions, la fin des lois de privatisation afin remplir les missions de l’hôpital public, et enfin l’application de sanctions pour fautes inexcusables de l’employeur et entraves au CHSCT. Ce serait un beau cadeau d’anniversaire pour le CHSCT !

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