La santé au coeur des bidonvilles du Venezuela

Avec Barrio Adentro, l’Etat réinvestit les cités et promeut la santé préventive.

PROPOS RECUEILLIS PAR BENITO PEREZ

Depuis un an, le Gouvernement du Venezuela bâtit un nouveau système de santé public destiné en priorité aux populations les plus démunies. Les explications du ministre de la Santé et du Développement social, Roger Capella, de passage à Genève. Depuis le plébiscite, en 1999, de sa nouvelle Constitution, le Venezuela vit au rythme des bouleversements socioéconomiques et des résistances acharnées qu’ils entraînent.

Nationalisation des revenus pétroliers, réforme agraire, campagnes d »alphabétisation, développement des médias communautaires… le Gouvernement d »Hugo Chavez affiche un volontarisme social qui fait tâche à l’heure de la toute-puissance du marché. Son dernier grand projet n »est pas le moins ambitieux ni le moins controversé. Lancée il y a un peu plus d »un an, la mission Barrio Adentro («au centre du quartier») entend, dans un même élan, décentraliser et unifier un système de santé affaibli par une décennie de néolibéralisme.

Au coeur du projet: le retour du service public dans les quartiers populaires et une conception holistique de l »usager, autant patient que citoyen, travailleur, consommateur ou habitant. Un usager qui nécessite pareillement un médecin multiforme, assistant social et animateur socioculturel en plus de thérapeute. Ce médecin d’un genre nouveau, la République vénézuélienne est allé le chercher chez sa voisine cubaine. Déclenchant les foudres d’une opposition qui vilipende la dérive «castro-communiste» du président Chavez…

Qu’en est-il concrètement? S’il paraît hasardeux de tirer un bilan définitif un an seulement après le lancement de Barrio Adentro, les efforts du gouvernement pour faire du droit à la santé davantage qu’un slogan méritent un suivi attentif. La venue du ministre vénézuélien Roger Capella à Genève, pour l »Assemblée mondiale de la santé, nous en offre l’opportunité.

A la tête de la Santé et du Développement social depuis un an, le Dr Capella n »a pas été nommé par hasard. Fidèle du président Chavez depuis dix-huit ans, il a reçu une mission de la plus haute importance: mener au pas de charge l’instauration d »un système de santé populaire et efficace. A un an et demi des élections, la «Révolution bolivarienne» a besoin de résultats pour résister aux coups de boutoirs d »une opposition avide de revanche.

Le Courrier: Vous dirigez la Santé et le Développement social. Est-ce à dire que, pour la République bolivarienne, ces concepts sont intimement liés?

Roger Capella: Absolument. Auparavant, nous avions un Ministère sanitaire et un Ministère de l’assistance sociale. Avec la nouvelle Constitution de 1999, nous avons changé de concept. Aujourd »hui, le ministère n’est plus uniquement assistancialiste, il ne se contente pas de traiter la maladie. Son but est de créer un «espace de santé et de vie» pour les Vénézuéliens dans le cadre d’un programme plus large de politiques visant le «développement intégral». Ce concept est notamment au cœur de la mission Barrio Adentro que nous mettons en oeuvre actuellement.

En quoi consiste-elle? Comment surgit ce projet?

Barrio Adentro a débuté il y a un an pour répondre à un échec. Notre Constitution reconnaît la santé comme un droit universel et inaliénable de l »être humain, garanti bien entendu par le caractère public et gratuit de la médecine. Or, plusieurs années après l’adoption de ce texte, nous n »étions toujours pas parvenus à trouver une réponse structurelle à ce défi. Nous avons beaucoup débattu sans parvenir à répondre à la question: comment adapter ce ministère issu de la quatrième République (la cinquième, née en 1999, est la «République bolivarienne», ndlr) à cette nouvelle perspective. Nous n’arrivions qu »à mettre en oeuvre des politiques conjoncturelles et ponctuelles dans l’urgence d »affronter l’immense dette sociale du pays. »En avril 2003, sous la pression de communautés locales qui réclamaient une présence médicale, la Municipalité de Libertador (quartier de Caracas, ndlr) est parvenue à un accord avec la République de Cuba pour l’envoi de 55 ou 56 médecins de quartier. Un mois plus tard, notre président décidait que c’était là la voie à suivre et passait un autre accord avec Cuba pour la mise sur pied d’un Réseau national d’attention première à la santé. En définitive, la réforme a surgi tant de l’expérience de terrain que du sommet de l’Etat.

D’autres pays connaissent une décentralisation médicale? Quelle est la particularité de Barrio Adentro?

D’abord de s’adresser à une population bien particulière: les millions d’exclus que compte le Venezuela. Formée durant les quatre dernières décennies du XXe siècle, cette population représente 60% des Vénézuéliens et vit pourtant en marge du progrès social. Elle n’a pas été exclue uniquement des services de santé, mais aussi du droit au travail, à l’éducation, à la citoyenneté, à l’identité… Les causes sont connues. Au début des an-nées soixante, 75% des Vénézuéliens vivaient en zone rurale. Or, quarante ans plus tard, la proportion s’est inversée! Les villes ont grandi de façon démesurée et non planifiée. La faute de l’Etat aura été d’ignorer cette population qui s’est installée dans des quartiers périphériques. Aujourd’hui, plus de la moitié des Vénézuéliens y vit. L’autre grande partie de la population exclue est constituée des presque 500 000 indigènes de 46 ou 48 ethnies vivant dans ce pays de 25 millions d’habitants. Ajoutons aussi les secteurs les plus démunis de la paysannerie.

Qu’a entraîné cette exclusion?

Elle a conduit à l’absence de citoyenneté. Par disparition des registres officiels, mais aussi par l’absence de droit au logement, à la terre, à un environnement salubre, etc. En fin de compte, ces populations ont été mises à l’écart des planifications étatiques. Face à cette exclusion extrême, nos infrastructures classiques sont inopérantes. Pour rediriger les fonds publics vers ceux qui en ont réellement besoin, il fallait que le service public aille vers eux. »Grâce à l’appui de 11 000 médecins cubains, Barrio Adentro a créé en un an quelque nonante nouvelles cliniques! Quatorze millions de personnes bénéficient déjà de notre Réseau d’attention première à la santé (RAPS).

Quel type de prestations offre-t-il?

Ce réseau constitue le noyau d’une approche globale. Présents 24h/24, les médecins des dispensaires soignent, bien évidemment. Ils disposent de cent cinq médicaments génériques de base mis gratuitement à disposition. Depuis qu’existe Barrio Adentro, 80% des remèdes dispensés l’ont été gratuitement. Mais à côté de ce travail, le médecin de quartier a aussi un rôle crucial d’éducation sanitaire et de prévention vicinale. Il élabore, par exemple, avec la communauté, des plans d’assainissement environnemental. Dans chaque dispensaire est mis sur pied un comité populaire chargé de seconder et de guider les médecins. »Grâce à la forte densité du réseau – un médecin pour 1250 habitants – celui-ci peut jouer un rôle central dans l’articulation des plans de développement social, politique et culturel. Ainsi il collabore, par exemple, avec les responsables des missions d’alphabétisation (Robinson, Simoncito). Il suscite la création d’associations de personnes âgées, de jeunes, de mères… Il relaie aussi les campagnes de «sécurité alimentaire», qui permettent d’éduquer les gens et de garantir l’accès de tous à une alimentation équilibrée et suffisante. Grâce à cette politique, huit millions de personnes reçoivent aujourd’hui des aliments essentiels à des prix équivalents à 30% de la valeur sur le marché. Sans compter les cuisines populaires qui accueillent chaque jour ceux qui souffrent de dénutrition. »Evidement, pour réaliser ce travail, nous avons besoin d’un nouveau type de praticien. Et ce «médecin généraliste intégral» n’existait pas au Venezuela, c’est pourquoi nous avons fait appel à Cuba. Bien que nous possédions sept universités autonomes, elles se montrent aujourd’hui incapables de répondre aux besoins de Barrio Adentro. Nous nous apprêtons toutefois à lancer une formation pour cinq cents nouveau médecins vénézuéliens. Avec l’aide de l’Ecole de médecine de l’Amérique latine à Cuba et de la création d’une nouvelle université vénézuélienne, nous espérons pouvoir former suffisamment d’infirmières, de pharmaciens et de médecins pour «vénézuéliser» le réseau d’ici six à dix ans. »Par ailleurs, il faut préciser que le RAPS s’insère dans une réforme plus large, en vue de reconstruire un système public et global de santé. Cela passe donc aussi par la constitution d’un second niveau d’attention à la santé centré sur les polycliniques populaires, qui permettent des interventions plus lourdes. Au troisième étage de notre système, les hôpitaux vont connaitre une importante redéfinition de leur rôle et de leur fonctionnement. »Un travail de longue haleine nous attend. N’oublions pas que nous avons hérité d’une décennie de privatisation et de fragmentation du secteur public.

Note : En savoir plus: www.barrioadentro.gov.ve

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