Source : www.frituremag.info
17 juillet 2011, par Christophe Abramovsky
Depuis le 12 juillet, les urgences psychiatriques du CHU de Toulouse (Purpan et Rangueil) sont en grève. Sous-effectif chronique, burn-out du personnel soignant, sentiment de ne plus remplir correctement sa mission, risque pour les usagers… Tout le florilège du mal-être de l’hôpital se cristallise ici, dans ce service d’urgence. Rencontre avec trois infirmiers des Urgences psychiatriques, Paul, Jacques et Robert (les prénoms ont été changés, afin de conserver l’anonymat…)
Sur leur blouse blanche est inscrit : « infirmier en grève ». Pourtant, les trois hommes sont à leur poste de travail. « 100% du personnel est en grève, mais nous devons assurer le service minimum. Aussi, comme nous sommes tous les jours en service minimum, 100% des grévistes travaillent… », ironise Paul. Néanmoins, Jacques rappelle « qu’ici, c’est la première fois depuis l’existence des Urgences psychiatriques qu’il y a une grève. Le même type de malaise a poussé les Urgences (traditionnelles) de Rangueil à la grève qui dure depuis le 20 mai ».
Depuis qu’existe ce service, il y a 6 ans, les effectifs ont augmenté au fur et à mesure de l’augmentation du besoin, mais plus rien depuis 2010. Aujourd’hui, le personnel souhaite le remplacement des absences (il y a 36 infirmiers au lieu des 40 prévus), mais aussi des postes en suppléments, afin d’effectuer un travail de qualité au vu de l’augmentation de l’activité. Également, trois agents de nettoyage sont manquants et les médecins qui ont démissionné ne sont toujours pas remplacés. Ce sous-effectif amène les infirmiers et les aides-soignants à faire le ménage des chambres, à réaliser des tâches administratives de plus en plus nombreuses, et cela durant les temps masqués qui jusque-là correspondaient aux moments de régulation avec l’équipe et d’écoute des malades (essentiel en psychiatrie).
« Moins d’effectif, plus de sédatif ! »
Jacques explique « qu’avec la loi Bachelot qui libéralise l’hôpital et cherche à en faire une entreprise rentable, le travail devient de plus en plus désincarné. Nous ne pouvons plus prendre le temps de parler avec les patients et d’écouter leurs problèmes. S’ils arrivent aux Urgences psy, c’est que leurs soucis ne peuvent se résoudre en un ou deux jours. De plus, quand les patients sont là, notre surveillance doit être permanente. »
Paul ajoute que « régulièrement, on voit arriver des gens angoissés et perturbés. Par manque de temps, de place et de personnel, nous les renvoyons chez eux rapidement. Il arrive que quelques jours plus tard, certains reviennent en ayant fait une tentative de suicide. Pour nous, c’est un constat d’échec ! Notre éthique de travail se trouve heurtée par la nécessité de faire de la place… »
Avec en moyenne 50 entrées par jour, Robert parle d’un service « embolisé ». « Ici, il y a plus de lits dans les couloirs que dans les chambres et souvent les patients restent au-delà de 72h, jusqu’à 6 jours et parfois plus. Ce n’est pas la vocation des Urgences. Dans ces conditions, n’importe quel patient exploserait ! »
Une population toulousaine qui augmente, des structures extérieures saturées, des établissements privées qui ne veulent pas s’embarrasser de malades peu rentables… Autant d’éléments qui font que depuis novembre 2010, le nombre de patients a quasiment doublé. Paul s’insurge : « le risque, c’est le retour à l’asile chimique ; moins d’effectif et plus de sédatif ! C’est là une régression dangereuse et à terme coûteuse pour la sécu et la société en général ».
Les trois infirmiers restent toutefois optimistes, car leur mobilisation exceptionnelle interpelle toutes les Urgences de Toulouse. Quand la psychiatrie porte le mal-être général de l’hôpital, c’est tout le monde hospitalier qui s’interroge. « Les Urgences sont le baromètre de l’état de l’hôpital et de la société », rappelle Robert. Pour autant, ce mouvement suffira-t-il à faire vaciller la politique gouvernementale de privatisation du service public de santé ? La question reste entière.