C’est la dernière ligne droite. Le premier ministre Jean-Marc Ayrault a entamé lundi les ultimes concertations avec les syndicats et le patronat pour boucler sa réforme des retraites qui doit être présentée en conseil des ministres le 18 septembre. Deux points clefs, l’allongement de la durée des cotisations et le financement de cette réforme, divisent jusque dans les rangs de la gauche.
« Rien n’est décidé », a défendu Ayrault avant de démarrer son marathon d’entretiens, organisés avec les ministres concernés, Marisol Touraine pour les Affaires sociales, Michel Sapin pour le Travail, et Marylise Lebranchu pour la Fonction publique. Il doit s’achever mardi après-midi avec la FSU dernière étape d’une concertation lancée lors de la conférence sociale du mois de juin, qui s’était poursuivie tout au long mois de juillet, d’abord avec le premier ministre, puis avec la ministre des affaires sociales.
Objectifs de cette ultime étape : dévoiler aux partenaires sociaux les grandes lignes du projet – sauf en matière de financement, le débat entre hausse des cotisations et hausse de la CSG n’étant pas encore tranché. Il s’agit ainsi de désamorcer ce qui pourrait bien être la bombe sociale de la rentrée avant la première grande journée de mobilisation contre la réforme Ayrault, prévue mardi 10 septembre, à l’appel de quatre syndicats (CGT, FO, Solidaires et FSU) et de montrer officiellement aux syndicats et au patronat que leur avis pèse jusqu’au bout dans la balance.
Dans tous les cas, le gouvernement va tout faire pour éviter de se lancer dans un bras-de-fer avec son propre électorat. L’exécutif est convaincu que si la réforme ne touche pas à l’âge légal et que la durée de cotisations n’est pas augmentée avant 2020, la mobilisation appelée le 10 septembre par la CGT, FO, Solidaires et la FSU ne dépassera les traditionnels bataillons syndicaux.
« Ce qui sera proposé tiendra compte de l’équilibre des comptes et fera attention à ne pas cristalliser de mauvais débats sur ce sujet », explique un ministre proche de François Hollande. Un autre, plus critique de la ligne économique du gouvernement, confie aussi sa « surprise » sur un texte qui devrait contenter la plupart des socialistes. « Je n’aurais pas imaginé que ce soit aussi tranquille », explique-t-il.
Mais si de nombreuses pistes de réforme, dont certaines très impopulaires, soufflées par la commission Moreau, sont aujourd’hui écartées comme toucher aux régimes spéciaux ou aligner sur le privé le régime des fonctionnaires, le contenu de cette réforme qu’Ayrault a promis d’« ampleur » demeure un mystère en particulier en ce qui concerne son financement.
- Faut-il allonger la durée de cotisations ?
Pour réduire le déficit du régime des retraites, il existe plusieurs leviers : niveau des cotisations, montant des pensions, âge de départ, années de cotisation… En 2010 et cela leur a coûté très cher, le gouvernement Fillon a choisi de modifier la durée légale de cotisation, qui est passée de 40 à 41 ans, puis à 41,5 ans. L’âge de départ en retraite est passé de 60 à 62 ans pour l’âge légal et de 65 à 67 ans pour un départ à taux plein.
Sans doute pour éviter que la colère ne monte d’un cran et ne pas connaître le sort de leurs prédécesseurs en 2010, le gouvernement Hollande répète qu’il n’y aura pas de relèvement de l’âge minimum légal de départ à la retraite, mais une hausse progressive de la durée de cotisation à taux plein après 2020 sans en préciser ni le rythme, ni les modalités. « Il n’est pas question de repousser l’âge légal de départ à la retraite car ce serait pénaliser toute une génération, tous ceux qui ont prévu d’aller à la retraite dans les années qui viennent se sentiraient trahis », a rappelé dimanche soir Jean-Marc Ayrault sur France 2.
Mais le premier ministre oublie de préciser que l’âge légal, à force de réformes, ne signifie plus rien. En 2012, l’âge moyen de départ en retraite était de 62,2 ans, soit légèrement au-dessus de cette barrière de l’âge légal auquel Ayrault promet de ne pas toucher. Pour FO et la CGT, qui sont contre tout allongement de la durée de cotisation et qui réclament le retour de la retraite à 60 ans pour tous, c’est « la ligne rouge » qui est franchie.
« Si la concertation fonctionne plutôt bien, elle n’a pas du tout fonctionné sur cette question-là. Le gouvernement a choisi la durée de cotisation. Ils ont choisi de suivre la voie ouverte par la droite en 2003. “C’est la voie la plus légitime”, disent-ils. Or cela ne sert plus à rien aujourd’hui de parler d’âge légal et de dire aux Français qu’on n’y touche pas. Avec l’allongement de la durée de cotisation à 43 ans voire 44 ans, pour profiter de l’âge légal, il faudra avoir commencé une activité à 16 ans or la moyenne d’âge du premier emploi aujourd’hui en France, c’est 23 ans pour un jeune sans diplôme ! » s’indigne Philippe Pihet, le secrétaire de Force ouvrière, chargé des retraites.
Pour lui, le vrai débat de cette réforme, c’est celui qui concerne la lutte contre le chômage de masse et il n’a pas eu lieu. « On a l’impression que le gouvernement a admis que le chômage resterait à 10 %. Il ne se pose même pas la question de savoir quelle réforme des retraites faire ou pas si le chômage était à 8 %. Or 100 000 chômeurs en moins, c’est 454 millions de recettes par an pour la CNAV (caisse nationale d’assurance vieillesse). »
Sans compter que l’allongement de la durée de vie, autre argument brandi en faveur d’une augmentation de la durée de cotisation, est profondément inégalitaire selon les professions : les ouvriers vivent moins longtemps et en moins bonne santé (lire ici notre article). Ces différences sont à peine effleurées dans le rapport Moreau et la notion d’espérance de vie en bonne santé n’est pas mentionnée. Matignon espère contrebalancer cette critique, partagée par toute la gauche, en créant un compte-pénibilité pour les métiers les plus difficiles.
- Faut-il ou non augmenter la CSG ou les cotisations sociales ?
Le gouvernement n’a pas encore annoncé son choix. Dans son programme de 2010, le PS avait proposé d’augmenter les cotisations sociales et patronales mais, au coeur de l’été, Marisol Touraine a indiqué qu’une hausse généralisée de la CSG était une piste « cohérente ».
Instaurée en 1991 principalement pour financer l’assurance maladie, la contribution sociale généralisée (CSG) était de 1,1 % à sa création. Son taux a progressivement été relevé pour atteindre 7,5 % pour les salaires, 6,6 % pour les pensions de retraites et 6,2 % pour les allocations chômage. Les syndicats sont contre ce levier, tout comme le patronat. « Ce serait une très mauvaise idée d’utiliser les impôts, la CSG, d’augmenter les cotisations sociales ou patronales car on réduirait la compétitivité de nos entreprises », a déclaré Pierre Gattaz, le nouveau patron du Medef.
La CFDT, le principal allié syndical du gouvernement, lui préfère une augmentation des cotisations salariales et patronales. Laurent Berger, le secrétaire général de la confédération, n’a pas caché dimanche dans une interview au Journal du dimanche être « très réservé » sur la hausse de la CSG : « Les recettes de la CSG doivent être attribuées en priorité à la santé et à la perte d’autonomie. Pour les retraites, l’augmentation modérée des cotisations des entreprises et des salariés est plus logique. »
La CFTC est sur la même ligne : « Lors des premières concertations, cette piste n’avait pas paru intéresser le gouvernement. Je pense que le Medef a fait pression. Nous ne sommes pas sûrs que ce soit la bonne réponse », a réagi Pascale Coton, la numéro deux. Pour Force ouvrière, « le financement des retraites doit passer par une cotisation employeur et non par une augmentation de la CSG, une ressource par ailleurs qui n’est pas pérenne », pointe Philippe Pihet, le monsieur retraites de FO.
Il est vrai que l’augmentation de la CSG permettrait d’approvisionner immédiatement les caisses, à l’inverse des autres mesures à l’étude, comme l’allongement de la durée de cotisation. Une hausse de 0,2 point apporterait 2,4 milliards d’euros et jusqu’à 6,1 milliards si le gouvernement la relève de 0,5 point. Or le gouvernement compte trouver 7 milliards d’euros pour combler le déficit du régime général (salariés du privé).
La CSG a aussi pour avantage d’avoir une assiette plus large que les cotisations sociales et patronales : une hausse légère de son taux rapporterait plus d’argent qu’une augmentation des cotisations. Pour les partisans de la CSG, cela a l’avantage de laisser penser que le gouvernement prend en compte le soi-disant « ras-le-bol » fiscal des Français. Ils jugent aussi « plus juste » le recours à la CSG, puisque les revenus du capital sont concernés. « La CSG a l’avantage d’avoir une base large et avec la possibilité d’un taux faible… Et nous devons être attentifs sur les impôts pour ne pas passer d’un effort compris à quelque chose qui ne serait pas accepté », explique un ministre du gouvernement.
À l’inverse, les adversaires de cet impôt jugent que la CSG revient à faire peser sur les ménages le coût de la réforme, en épargnant les patrons. À moins, comme l’envisage une partie du PS, de mettre en place une « CSG progressive » en fonction du revenu. Lundi, le patron du Medef a affirmé que Matignon était prêt à augmenter les cotisations patronales, mais en échange d’une baisse du « coût du travail ». En clair : les cotisations retraite augmenteraient en échange d’une réduction des cotisations qui financent la branche famille. À plusieurs reprises, François Hollande a évoqué un changement de financement des prestations familiales qui pèsent actuellement sur les patrons et les salariés.