Explorer les « avancées et les résistances dans le traitement pénal des désastres industriels », concernant tant les salariés que les riverains, tel était l’objectif d’une journée d’études organisée lundi 27 mai au CNRS dans le cadre du séminaire « Maladies industrielles et mobilisations collectives », dirigé par les sociologues Laure Pitti et Pascal Marichalar.
Ces derniers avaient choisi de ne pas mettre de point d’interrogation à l’intitulé de la journée « Punir les crimes industriels », pour marquer et assumer leur « positionnement politique » en faveur d’une meilleure sanction de cette « délinquance en col blanc ». Orientation partagée dans la salle, où la présence de nombreux acteurs, chercheurs, syndicalistes, avocats, engagés dans des luttes pour la santé au travail ou l’environnement, a permis de multiplier les points de vue et les exemples.
Pourquoi la justice en France est-elle si réticente à punir les crimes industriels ? L’exemple paradigmatique est l’affaire de l’amiante, qui a débouché en Italie sur le maxi-procès de Turin et une condamnation à vingt ans de prison pour deux dirigeants d’Eternit – une des peines a de plus été aggravée en appel –, alors que de ce côté-ci des Alpes l’instruction dure depuis 1996 et que la tenue d’un procès pénal n’est toujours pas certaine, avec l’annulation récente d’une partie des mises en examen.
« Tout le système de prévention en France est fait pour dépénaliser et pousser les victimes à se tourner vers le civil », a introduit Pascal Marichalar, rappelant la « fonction expressive du droit pénal, qui est de dire quels sont les interdits propres à une société, fonction que ne peut remplir le civil ».
Nous avons derrière nous « deux siècles de construction sociale et juridique de l’immunité pénale des chefs d’entreprise qu’il faut renverser », a souligné l’avocat Jean-Paul Teissonnière, se référant au décret de 1810 sur les sites industriels, puis au « compromis historique » opéré par la loi de 1898 sur les accidents du travail basé sur l’idée d’une responsabilité partagée entre salarié et employeur, enfin à la loi Fauchon de 2000 qui durcit la possibilité de faire reconnaître la responsabilité de décideurs publics ou privés.
Dans ce système de « barrières » sur la voie pénale, joue également la façon dont les industriels ont réussi à instiller le doute sur la dangerosité des produits, « en exigeant des preuves statistiques au travers d’études épidémiologiques », a souligné la sociologue Annie Thébaud-Mony. Un raisonnement « idéologique » qui conduit à attendre que le nombre de victimes soit assez important pour le relever statistiquement, et qui permet, en attendant, de nier le risque, là où des études toxicologiques seraient sans appel.
Démonstration saisissante avec la projection du film photographique de Jacques Windenberger, Tumeurs et Silences (1), sur les cancers frappant massivement les salariés et les habitants des bassins de Fos-sur-Mer et de Berre, dans les Bouches-du-Rhône, marqués par deux cents ans d’industrialisation. Quand une habitante du quartier des Carabins, à Fos, décrit la multiplication des maladies dans le voisinage, la représentante de l’Institut de veille statistique (INVS) rétorque, non sans mépris, que « ce sont des dires », explique que rien n’est certain, et qu’une étude épidémiologique est difficile car « le quartier pose un problème de puissance statistique ».
(1) Le film cherche un distributeur.
Fanny Doumayrou