
Source : Fakir
Par François Ruffin, Grégoire Souchay, 7/03/2012 , N°54 (03-04 2012)
Mickaël Prince, délégué CGT de Stef-TFE, ne s’est pas laissé acheter par son patron. Il a tout refusé : le chèque de 40000 €, la promotion comme cadre… et il a enregistré toute la conversation ! Depuis, son entreprise fait de son mieux pour le virer. En soutien à Mickaël, rendez-vous le 13 mars à 12h30 devant le tribunal d’Amiens.
« Allô ? Monsieur Prince ?
– Oui ?
– C’est Monsieur Morvan, le directeur de la région Normandie-Ile de  France. On veut vous voir, pour parler de votre parcours professionnel  dans le groupe.
– Pas de problème. On se rencontre à la plate-forme de Chaulnes quand vous voulez.
– Non, on préfèrerait un endroit plus discret. »
C’est donc au Novotel de Longueau, près d’Amiens, que Mickaël Prince, délégué CGT de Stef-TFE – « le leader du transport frigorifique en Europe » – se rend le 14 février 2006 pour rencontrer sa direction. Qui lui  offre un chèque de 40 000 €, en échange de son mandat syndical. « Toi, t’as répondu, « 40 000 €, c’est pas assez » ? on le taquine.
– Nan, j’ai dit non. Quand même, on n’est pas des objets. On peut  pas vous acheter comme ça, du jour au lendemain. Et en rentrant à TFE  Chaulnes, j’ai rempli une fiche de frais pour le déplacement, et dessus,  j’ai mis « achat du délégué syndical ». C’était un message, pour dire que je n’étais pas à vendre. » Pour que le message soit encore plus clair, il dépose plainte à la  gendarmerie. Et ses supérieurs, à leur tour, déposent plainte. Pour « dénonciation calomnieuse ». Le détail, le hic, le petit souci qu’ils n’avaient pas prévu, c’est que  Mickaël n’était pas venu seul, à l’hôtel. Qu’il avait sur lui un petit  magnéto. Qu’il n’avait pas oublié de changer les piles. Que l’officier  de police judiciaire a retranscrit toute la conversation. Et que le  président du Tribunal correctionnel, finalement, a tout repris dans son  jugement…
Son directeur, dans le texte :
« Je vous propose pour partir de l’entreprise 40 000 €. J’ai eu à  traiter il y a trois ans, j’avais traité avec un délégué et puis ça  s’est traité avec d’autres, c’est moitié un secret chez TFE, je pense  que vous le savez… » Face au refus, le supérieur lance un plan B : « Si vous voulez rester dans le groupe, moi je vais réfléchir à la  question mais à ce moment-là, il faudrait qu’on fasse l’affaire entre  vous et moi, que vous abandonniez tous vos mandats. Vous en faites la  démarche… Vous abandonnez tous vos mandats, et je vous donne un avenir  dans l’entreprise, si c’est l’informatique, c’est l’informatique. » Nouvelle rebuffade, et voilà le plan C : « Je ne laisserai pas faire les choses. J’ai fait partir un délégué  syndical sans un centime, parce qu’au bout de trois ans, il avait perdu  tout son pouvoir. On peut, de la même façon qu’un syndicat ou un  syndicaliste peut déstabiliser la direction, la direction peut aussi  déstabiliser, vous comprenez ? » Oui, Mickaël Prince avait bien compris : la guerre était ouverte.
« Mais pourquoi ils sont prêts à raquer pour te faire partir ?
 – Parce qu’aujourd’hui, à Chaulnes, on a plus de 50 % de  syndiqués CGT. Ils ne peuvent plus nous coller des mises à pied à leur  guise. On a obtenu le taux horaire le plus haut du groupe. Les  conditions de travail, niveau sécurité pour le personnel, c’est parmi  les meilleures. Les transporteurs travaillent sur quatre jours. On s’est  aperçus qu’on nous avait grugés des RC, des « repos compensateurs »,  et on a regagné cinq jours par personne. En plus, les gars de Chaulnes  se déplacent à Cergy-Pontoise pour aider les copains, on se déplace à  Rennes, et ça, ça ne leur plaît pas. Ils craignent un effet boule de  neige. C’est moins cher d’acheter le délégué syndical. » 
Ou de le poursuivre. À nouveau.
Cette fois, c’est pour « contrefaçon » que Mickaël Prince grimpe, le 13 mars, les marches du palais de justice d’Amiens. Pour « atteinte au droit d’auteur » : parce qu’il a repris, détourné, posté sur YouTube, une chanson de sa multinationale – qui vantait les joies de l’alcool… « Il faut me faire craquer. Tous les motifs sont bons. À l’entretien  pour le licenciement, on m’a expliqué qu’on en était là parce que  Chaulnes, dans le groupe, est devenu « le village des irréductibles Gaulois ». À Paris, dans le bureau du directeur, y a une carte de France, Chaulnes est marqué en rouge. » Marqué au fer rouge, lui, il en ferait presque une fierté. « Les  sociétés se servent des tribunaux pour nous poursuivre. Mais les juges  d’instruction, franchement, ils ont pas de travail plus urgent ? »
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