Accès aux soins : « Des inégalités de plus en plus grandes »

lemonde.fr

Emmanuel Vigneron, géographe | | 27.07.11 |

Les déserts médicaux et les dépassements d’honoraires, auxquels cherche à s’attaquer la nouvelle convention médicale, signée entre les syndicats de médecins et l’assurance-maladie mardi 26 juillet, ne sont pas les seules défaillances du système de santé. La question de la pertinence des actes pratiqués dans les hôpitaux – parfois évitables (appendicectomies), parfois au contraire non réalisés mais nécessaires (cataracte) – est aussi soulevée.

Comment expliquez-vous la diversité des pratiques hospitalières ?

La distribution des soins, liée à la répartition des médecins mais pas seulement, témoigne d’inégalités plus grandes aujourd’hui que par le passé. Pour des raisons légitimes, la spécialisation de la chirurgie est allée de pair avec une concentration de l’offre. Mais au prétexte de ne pas pouvoir tout faire partout, on a fait de moins en moins ici ou là, et de plus en plus dans les métropoles.

Focalisées sur la qualité des soins, les politiques de santé n’ont incontestablement pas assez pris garde à l’accessibilité. Jamais on ne s’est préoccupé de savoir comment les gens se rendraient à l’hôpital. Cela pouvait fonctionner pendant les « trente glorieuses », quand les transports en commun se développaient et que tout le monde s’équipait en voiture, mais cela montre ses limites en temps de crise, avec un prix élevé de l’essence ou du train.

Peut-on parler de manque de pertinence du système ?

Quand on voit que 90 000 appendicectomies (contre 300 000 il y a trente ans) sont encore réalisées chaque année, principalement dans les hôpitaux et cliniques des villes petites et moyennes, alors que les spécialistes estiment que 65 000 seulement sont utiles, on doit s’interroger. Une explication réside dans l’intérêt financier pour les établissements qui les pratiquent, mais ce n’est pas la seule. Le manque d’accès à l’imagerie médicale pour vérifier si l’opération est nécessaire, du fait de la rareté des radiologues dans certains lieux, en est une autre. En matière d’endoscopies digestives aussi, il faut s’interroger : pourquoi, à population homogène, en pratique-t-on beaucoup ici et très peu là ?

Cette question de la pertinence ne se résume pas aux actes évitables, voire inutiles, car les pratiques innovantes aussi se diffusent inégalement. Il ne s’agit alors plus de surconsommation, mais de sous-consommation d’actes médicaux. Dans un monde idéal, l’inégalité pourrait exister, mais elle serait le fruit du hasard. Là, elle s’opère toujours au détriment des mêmes zones. Or ce phénomène qui se creuse est en totale contradiction avec les principes constitutionnels d’égal accès aux soins, que l’on habite à Coutances dans la Manche ou dans le 5e arrondissement de Paris. Ce qui est étonnant en outre, c’est que les actes lourds comme les greffes rénales ne souffrent pas de grandes inégalités territoriales.

Quel est l’impact sur la santé publique ?

De mauvais signes apparaissent. Si la mortalité générale continue de baisser, en matière de mortalité prématurée (avant 65 ans), les écarts se creusent entre les personnes les plus et les moins favorisées. On parle beaucoup des déserts médicaux. La relation de cause à effet entre nombre de médecins et santé n’est pas établie, mais il y a suspicion. Il est donc largement temps de poser la question, d’autant plus que ces inégalités territoriales se conjuguent avec les inégalités sociales, sous l’effet du coût du foncier qui pousse les classes les moins aisées à s’éloigner des zones urbaines, et ainsi des professionnels de santé.

Que font les pouvoirs publics ?

On sait depuis longtemps qu’au sud de la France, on consomme plus de soins qu’au Nord-Est. On a cru que ces inégalités territoriales se résorberaient, en fait elles s’enkystent. L’assurance-maladie mène des études, d’autres aussi. Pour l’instant, on se contente trop souvent de publier des chiffres, sans les interpréter ni trouver de solutions. Il n’est pas interdit de rappeler que les agences régionales de santé ont été créées pour assurer une politique territoriale et que le conseil de l’ordre des médecins, qui publie chaque année un atlas de la démographie médicale, a la responsabilité de l’organisation de la profession.

Propos recueillis par Laetitia ClavreulArticle paru dans l’édition du 28.07.11

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