Source : mediapart.fr
Le recul des âges de départ en retraite est conforme à la Constitution mais pas la réforme de la médecine du travail introduite dans le texte, sous forme d’amendements. C’est ce qu’ont décidé, mardi 9 novembre, les juges du Conseil constitutionnel, dont deux anciens présidents, Jacques Chirac et Valéry Giscard d’Estaing.
Cette décision ouvre la voie à la promulgation rapide du texte (dès mercredi 10 novembre?). Elle oblige le gouvernement à le dépouiller de quinze articles sur la médecine du travail, dispositions que le syndicat des professionnels de la santé au travail (SNPST) jugeait tout simplement «catastrophiques».
Mardi, dans un communiqué, le ministre du travail Eric Woerth a dit «prend(re) acte», selon la formule consacrée, et a annoncé un «projet de loi spécifique dans les meilleurs délais», sans donner de dates. «Ce sera forcément en 2011, estime Mireille Chevalier, secrétaire générale du SNPST. «Nous sommes forcément satisfaits. En septembre, syndicats, professionnels, tout le monde avait été mis devant le fait accompli. Ce délai va nous être utile pour mobiliser, et rencontrer à nouveau le gouvernement et les partenaires sociaux.»
Saisis par les parlementaires socialistes, les juges chargés de vérifier la conformité des textes de loi à la Constitution n’ont ni retoqué le recul de l’âge légal de 60 à 62 ans, ni celui du départ à taux plein de 65 à 67 ans, les deux piliers de la réforme, éléments pourtant jugés injustes par l’opposition (à raison sur certains points: lire notre article «Les cinq injustices de la réforme»). «Le législateur s’est fixé comme objectif de préserver le système de retraite par répartition, résume le communiqué du Conseil constitutionnel. Il n’a méconnu ni le principe d’égalité ni l’exigence constitutionnelle relative à une politique de solidarité nationale en faveur des travailleurs retraités. (…) Le report de 65 à 67 ans de la limite d’âge ouvrant droit à une pension sans décote n’est pas contraire au principe d’égalité entre les femmes et les hommes.»
La CFDT a répondu illico, estimant que la loi «pénalise les salariés qui ont commencé à travailler tôt et les travailleurs aux carrières précaires», alors que «les dispositions concernant la pénibilité ne (…) prennent pas en compte les conséquences sur la santé qui apparaissent après l’âge de 60 ans».
Les juges n’ont pas davantage critiqué la méthode au Parlement (huis clos en commission avant l’été, interruption des débats à l’Assemblée le 7 septembre), processus qualifié de «passage en force» par l’opposition.
Dans un communiqué lyrique, l’UMP s’est félicitée de cette décision. «La validation (…) vient clore un long processus marqué par l’écoute et le courage», dixit Frédéric Lefebvre, porte-parole.
Le porte-parole du parti présidentiel s’est en revanche gardé de commenter un pan entier de l’argumentaire des juges: parce qu’elle a été distillée dans le texte à coup d’amendements glissés à l’Assemblée, puis au Sénat, la réforme de la médecine du travail est, disent-ils, «contraire […] à la Constitution».
«Ces dispositions ne présentent pas de lien même indirect» avec le projet de loi, explique le Conseil qui qualifie les articles 63 à 75 de «cavaliers parlementaires»: des dispositions présentes dans une loi mais sans aucun rapport avec son objet. Le gouvernement aurait mieux fait d’écouter l’Ordre des médecins, partisan d’une «loi qui réforme globalement la médecine du travail, et non par fragments», expliquait récemment à Mediapart le docteur André Deseur, président de la section «exercice professionnel» du Conseil national de l’ordre.
A peine évoquée avant l’été par le ministre Eric Woerth, la réforme de la médecine du travail avait été introduite en urgence par une série d’amendements gouvernementaux à l’Assemblée nationale début septembre, avec des dispositions renforçant notablement le poids des employeurs dans les services de santé au travail. Le SNPST avait alors dénoncé un «hold-up sur la santé au travail», «abandonnée aux employeurs».
Au Sénat, le texte avait été un peu édulcoré, puis à nouveau durci à la fin de l’examen au Parlement. La version définitive bouleversait l’organisation de la médecine du travail et faisait craindre pour l’indépendance des médecins du travail, déjà bien souvent de pure forme, surtout quand ils sont salariés des entreprises où ils exercent. Le texte prévoyait en effet la présidence par l’employeur du conseil d’administration des services de santé au travail; la sous-traitance des intermittents, des mannequins, etc. (qui, en pratique, ne sont pas suivis par les services de santé au travail), aux médecins généralistes ne disposant pas forcément des compétences requises; l’instauration de la pluridisciplinarité des équipes (ergonomes, infirmiers, etc.), une évolution souhaitée par les médecins, mais dont les modalités d’application restaient très imprécises…
Bref, des sujets cruciaux, en discussion depuis de longues années, que le gouvernement avait décidé de trancher par voies d’amendements en s’inspirant largement des propositions du patronat. «Cette réforme introduisait le risque d’un mélange des genres entre le rôle d’alerte du médecin, et l’utilisation du service de santé au travail pour aider l’employeur à répondre à ses obligations de prévention en santé», explique Mireille Chevalier.
Interrogé il y a peu par Mediapart, Dominique Huez, médecin du travail et porte-parole de l’Association santé et médecine du travail, n’hésitait pas à parler d’une «démédicalisation» de la profession, et d’un nouvel assaut contre une profession «débordée de toutes parts, dont la zone de spécificité ne cesse de s’amenuiser».