« Poussez fort » a écrit la surveillante au feutre noir, sur la chasse d’eau des toilettes. « Pas trop quand même, vu l’état de l’hôpital public » a rajouté un patient qui avait de l’humour, et un stylo-bille bleu. Dans le couloir, les dalles manquent. On les a rafistolées avec du ruban adhésif pour que les pantoufles des vieilles dames ne se prennent pas dans ce piège à cols du fémur. Au-dessus des têtes, la peinture s’écaille, les faux plafonds sont crevés et laissent passer leur haleine de poussière sur les médicaments et les plateaux-repas… Au septième étage, à Rangueil, on met des bassines par terre quand il pleut.
« Cela fait des années que c’est comme ça ! Et pendant ce temps, on bâtit à tour de bras ! » s’étonne ce toubib furieux de l’état du service où il travaille.
Mais il y a pire : l’ambiance…
« On devient une usine à soins. Avec une administration pléthorique qui nous demande à nous, soignants, de faire une paperasse qu’elle devrait faire ! »
« On a l’impression que le pouvoir a été pris par l’administration à l’encontre du pouvoir médical, observe le docteur Jacques Giron, membre de la commission exécutive de la CGT. Tout est décidé en dehors de nous. Nous n’avons plus des directeurs, mais des managers, qui décident de tout. Les pathologies sont examinées en fonction de ce qu’elles coûtent. »
Est-ce que cela peut avoir des répercussions sur les malades ? « Prenons un patient qui cumule les problèmes : diabète, âge, arthrose… Avant, on pouvait envisager de lui dilater des artères… Aujourd’hui, on va nous expliquer que cela ne vaut pas le coup (coût ?), et qu’il vaut mieux amputer ! »
Tous ces médecins s’étonnent de la multiplication des responsables administratifs. « Il y a de plus en plus de directeurs, et de moins en mois de soignants ! » ironise ce praticien. Une administration relayée dans les services par des « cadres infirmiers » qui ont « un état d’esprit incompatible avec le souci du malade ». Les médecins ont du mal à comprendre les réorganisations : « On en arrive à des effets dominos, explique le docteur Pierre Rumeau, du syndicat des praticiens hospitaliers du CHU de Toulouse. Ainsi, autrefois, les personnes âgées qui tombaient malades dans les maisons de retraite pouvaient être prises en charge par les médecins généralistes. Le règlement a changé, et désormais ces maisons doivent gérer une enveloppe. Du coup, on envoie ces personnes âgées malades aux urgences ! Cela encombre les urgences, cela shunte le médecin traitant et l’on fait peser la charge du soin sur l’hôpital…. et on l’accuse ensuite de coûter trop cher ! » Enfin, tous dénoncent une déshumanisation induite par le flux tendu des horaires de travail et la « polyvalence » :
« On balance telle infirmière qui arrive de réanimation en pédiatrie, un domaine où elle ne connaît rien. C’est ainsi que les accidents arrivent, avertit Jacques Giron. Qui déplore : «On n’arrive plus à bien faire le travail que l’on aime faire. »
« J’avais l’habitude de faire une réunion une fois par semaine, avec toute mon équipe, infirmières, internes, étudiants… pour discuter des techniques, des protocoles, etc. explique ce professeur. On m’a demandé de la supprimer parce pendant ce temps, on ne réalisait pas d’acte ! »
Vous avez dit rentabilité ?
Le chiffre : 15
15 à 20 % de nos concitoyens n’accèdent pas aux soins. « Faute de moyens », estime le docteur Jacques Giron, à l’hôpital Purpan.
« La désorganisation de l’hôpital public est en train de détruire notre système de santé. » Pierre Rumeau, président du syndicat des praticiens hospitaliers du CHU de Toulouse.
« Faute de personnels, il y a eu des escarres… »
« Le déménagement des personnes âgées vers le nouvel hôpital Garonne ? Il y avait tellement peu de personnel que l’on a vu apparaître 20 % d’escarres alors qu’auparavant il n’y en avait aucune ! s’exclame André, militant CGT à l’hôpital Purpan. Il n’y avait personne pour alimenter les personnes âgées, pour les lever ! » Les personnels soignants de la CGT à Purpan, partagent globalement les préoccupations des médecins et dénoncent eux aussi une dégradation des conditions de travail, et d’accueil des malades.
« Le personnel ne veut plus rester à travailler ici : les gens craquent », explique Véronique.
« Ces personnes sont en souffrance et elles ne voient pas le bout du tunnel », constate Nasahia.
« Il n’y a plus de temps pour le « chevauchement », précise Béa, pour ce moment où l’on pouvait échanger des informations sur chaque patient. Du coup, on prend ce moment-là sur notre temps personnel. »
« Le soin est bien fait, assure Monique. Mais c’est le côté humain que l’on est obligé de sacrifier, écouter la personne, lui tenir la main. »
« Il y a toujours eu une tradition hospitalière à l’hôpital public, raconte Monique, où le patient pouvait arriver tout nu et où lui procurait aussi bien du dentifrice qu’un pyjama. Il était pris en charge dans sa dignité. C’est pour cela qu’on se bat, au moment où c’est l’esprit lucratif qui est en train d’entrer dans la maison. »
Une dégradation que les familles ont constatée, notamment avec le nouvel hôpital Garonne : « Les soins médicaux sont bien assurés, mais pour le reste, le personnel n’a plus le temps, pour nourrir, lever, faire marcher, apporter des soins aux personnes âgées » raconte un parent. Un collectif s’est créé et a alerté le directeur de l’hôpital et le sénateur Jean-Jacques Mirassou.