Portugal: un million de voix chantent «Grandola»

dim, 03/03/2013 – 12:38 | Par Philippe Riès – Mediapart.fr

Convoqués sur les réseaux sociaux, les cortèges du samedi 2 mars organisés par un « groupe de citoyens » qui s’est baptisé « Que se Lixe a Troika » (Que la troïka aille se faire voir) ont fait descendre dans les rues de 40 villes du pays un million de Portugais, selon les chiffres revendiqués par les organisateurs mais contestés par certains médias. Ce qui en ferait la plus importante mobilisation populaire depuis la révolution des Œillets de 1974.

La place du Commerce noire de mondeLa place du Commerce noire de monde© Organisateurs

À Lisbonne, quelque 500 000 manifestants rassemblés en « marées » par secteurs professionnels (éducation, santé, etc.) ont convergé sur l’avenue de la Liberté avant d’envahir les rues tirées à l’équerre de la Baixa Pombalina, pour déboucher face au Tage sur la place du Commerce, au pied du ministère des finances qui occupe une des ailes de l’ancien palais royal. La manifestation coïncidait avec le séjour au Portugal des représentants de la « troïka » UE-FMI-BCE, réalisant la septième évaluation du programme de redressement prévu par le mémorandum signé par le (précédent) gouvernement portugais au printemps 2011, en échange d’une aide financière de 78 milliards d’euros.

Derrière une grande banderole « Que se lixe a Troika, O povo e quem mais ordena », la foule a entonné Grandola Vila Morena dont ce deuxième slogan (le peuple est celui qui le plus commande) est tiré. Même scène à Porto, la deuxième ville du pays où des centaines de milliers de personnes ont défilé, et dans le reste du pays. À l’approche du 40e anniversaire du soulèvement des « capitaines d’Avril », la chanson emblématique de Zeca Afonso, dont la diffusion en avait donné le signal, est devenue le cri de ralliement de l’opposition au gouvernement de centre droit dirigé par Pedro Passos Coelho, qui met en œuvre le mémorandum. Depuis une quinzaine de jours, les membres du gouvernement qui s’aventurent en public sont la cible de « comités d’accueil » qui les font taire au son de Grandola et dans certains cas les obligent à s’éclipser. Un mot a même été forgé pour désigner cette forme nouvelle de manifestation : « grandolada ».

Par-delà les habituelles querelles de chiffres, la mobilisation spontanée de centaines de milliers de citoyens est analysée comme un nouveau désaveu pour la classe politique dans son ensemble et les organisations traditionnelles, y compris syndicales, qui ont été contraintes de prendre le train en marche. À Lisbonne, une responsable du Parti socialiste, interrogée par la télévision SIC Noticias sur la place du Commerce, a été conspuée par la foule. Le secrétaire général du PS José Antonio Seguro avait choisi de visiter Campo Maior, place forte de l’entreprise de café Delta, au fin fond de l’Alentejo.

Le gouvernement PSD-CDS dispose d’une solide majorité à l’Assemblée de la République et ne pourrait chuter que si la coalition éclatait ou si le président de la République Anibal Cavaco Silva, lui-même issu du PSD, exerçait le pouvoir que lui donne la Constitution de congédier le gouvernement et de convoquer de nouvelles élections. Hypothèses pour le moment exclues.

La précédente grande manifestation populaire spontanée, celle de la « geraçao a rasca » (lire ici) en mars 2011, dont le chant de ralliement était Que parva que eu sou du groupe des Deolinda, n’avait pas eu de lendemain politique. Elle préfigurait pourtant le mouvement des « Indignés » de la Puerta del Sol dans l’Espagne voisine. Mais deux ans plus tard, à l’approche des élections locales de septembre prochain, les commentateurs portugais jugeaient samedi soir que l’équipe au pouvoir, et les autres capitales européennes, devraient prendre très au sérieux l’immense mobilisation du 2 mars 2013. En regardant du côté de l’Italie.

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